Le 6 juillet dernier, Wavestone organisait un webinar sur le thème du bien-être et de la qualité de vie au travail face à la crise COVID-19.

Si cette crise a été pour beaucoup un passage difficile, elle permet également une remise en question de certaines certitudes héritées. Les pratiques professionnelles ont en effet été profondément perturbées : l’occasion ici d’innover et de redessiner les contours de la fonction RH dans son rôle, au service de la qualité de vie au travail. Trois experts ont animé le débat en apportant leur vision complémentaire : Yannick Pelletier (DRH Schenker France & Maghreb), Ida Gennari El Hicheri (Docteur en psychologie du travail et des organisations) et Claude Bodeau, Partner Wavestone au sein de la practice People & Change. En voici les principales conclusions

Confinement : quels enseignements tirer de ce mode de travail généralisé ?

Un bouleversement rapide

Dans beaucoup de structures, l’organisation du travail a été profondément bouleversée à la suite de l’annonce du confinement, et cela, en quelques jours. Les directions des ressources humaines ont été contraintes de prendre des décisions dans la précipitation et de mettre en place de nouveaux dispositifs de travail pour appréhender au mieux la situation, sans y avoir été préparées.

télétravail

Les situations n’ont pas toutes été les mêmes selon les secteurs d’activité, les métiers ou même les endroits, mais l’accent a toujours été mis sur l’urgence de limiter les risques sur la santé et la sécurité au travail, tout en maintenant le lien avec les collaborateurs et leur manager. L’enjeu était de taille :  traiter de front les sujets d’isolement, d’autonomie, de responsabilisation, sans oublier l’essentiel équilibre vie professionnelle / vie personnelle.

Ainsi, afin d’assurer la sécurité des salariés en présentiel, les modes de travail ont dû être adaptés. A distance également, les salariés ont découvert une nouvelle réalité avec tout d’abord l’absence du « SAS de transition », c’est-à-dire de la période entre le moment où l’on quitte le travail et celui où l’on retrouve son chez soi ; et également, l’initiation à de nouvelles habitudes de travail (visioconférence, téléphone, one to one…). Pour les managers aussi, il a fallu expérimenter de nouvelles méthodes de management à distance et en essayant de maintenir un réel lien social avec les équipes.

Un nouveau mode d’organisation gagnant-gagnant ?

Dans une étude réalisée par Terra Nova et publiée le 29 avril dernier, l’aspect gagnant-gagnant pour l’employeur comme pour le collaborateur était mis en avant. Ida Gennari – El Hicheri a fait le point en nous partageant quelques chiffres d’une étude universitaire interentreprise réalisée durant le confinement (Universités de Turin, Lumière Lyon 2, Paris Nanterre et Haute-Alsace).

Gennari – El Hicheri Ida

Gennari – El Hicheri Ida

Docteur en psychologie du travail et des organisations

Ida Gennari – El Hicheri insiste « Le télétravail expérimenté durant le confinement est un télétravail imposé et dégradé en raison de plusieurs facteurs : anxiété liée à l’épidémie, gestion de l’école à la maison, des repas… Pourtant, malgré cette version expérimentale du télétravail, 58% des personnes interrogées dans l’étude souhaitent en poursuivre la pratique. La formation sera clé pour tirer à long terme parti d’un télétravail durable, notamment pour les managers. »

Le besoin d’agilité, de flexibilité en sort renforcé

La situation de crise liée à la COVID-19 et au confinement a également permis de révéler des individus qui ont su prendre des initiatives, notamment en débloquant des situations, en améliorant le lien social, en faisant avancer des projets. Claude Bodeau insiste ainsi sur les conséquences que cette situation d’urgence a pu avoir en termes d’agilité des modes d’organisation et de flexibilité

Bodeau Claude

Bodeau Claude

Partner Wavestone au sein de la practice People & Change

« On a pu observer que toute une strate de management intermédiaire a disparu dans certaines organisations, particulièrement dans le secteur public, entraînant une baisse d’effectif de 30 à 40%. Pour bien prendre en compte cette crise, on doit interroger les moyens à mettre en œuvre à l’avenir en termes de formation, de rémunération, d’organisation du temps de travail, etc. »

Importance des « temps faibles » d’interaction sociale pour le « vivre ensemble »

« Le télétravail a tendance à faire disparaître les temps faibles », comme le souligne Yannick Pelletier. Les échanges informels à la machine à café, au détour d’un couloir, la prise de nouvelles… tous ces moments d’interaction ne sont physiquement plus possibles. Le rythme de travail est très productif et la cadence plutôt intense en télétravail, chacun a son organisation et il est donc moins naturel de penser à s’accorder des temps faibles avec ses collègues.

Ida Gennari – El Hicheri insiste également sur la nécessité de créer des espaces de paroles avec des temps morts / temps faibles qui laissent de la place au vécu, au ressenti. Avec l’augmentation des risques psychosociaux liés au confinement, elle explique qu’il y a trois principaux facteurs sur lesquels travailler :

  • Faire du management un métier de l’accompagnement, de la relation, de l’engagement, pour développer un soutien social au sein des équipes et veiller à ce que les personnes ne soient pas isolées
  • Mettre au premier plan une garantie d’autonomie pour permettre aux collaborateurs de développer leurs compétences et de prendre des responsabilités
  • Analyser la charge de travail et opter pour un management à l’objectif une fois la charge de travail bien clarifiée.

En quoi ces enseignements questionnent-ils le travail de demain ?

L’expérience collaborateur à repenser

Ce qui pour beaucoup semblait impossible est devenu possible.

Pelletier Yannick

Pelletier Yannick

DRH Schenker France & Maghreb

Yannick Pelletier explique ainsi qu’au sein de Schenker, une enquête en interne a été réalisée pour continuer sur cette lancée. Des groupes de travail ont été mis en place avec la possibilité pour chaque collaborateur de faire une auto-évaluation des conditions dans lesquelles il peut réaliser son télétravail et également évaluer sa propre capacité à télétravailler (organisation, matériel, autonomie…).

Les managers ont également réalisé cette auto-évaluation pour sentir et mesurer les besoins d’accompagnement à mettre en place. Selon Yannick Pelletier, il en ressort plusieurs principes à développer :

  • Instaurer des bilans d’étapes pour mesurer l’efficacité de la productivité au travail, mais aussi mesurer le bien-être et le mal-être qui naissent du télétravail
  • Former au management à distance
  • Mettre en place des rituels pour garder un collectif fort

La possibilité de faire du télétravail est souvent perçue comme un privilège, un bénéfice individuel, mais il faut aussi inscrire le télétravail dans le collectif et en faire un atout commun

Une nouvelle manière de percevoir le sens du travail

Ne plus pouvoir se rendre au travail, ne plus retrouver ses collègues et ses habitudes comme tous les jours… le contexte exceptionnel du confinement a poussé certains salariés à requestionner le sens de ce qu’ils cherchent dans leur travail. Cela a renforcé pour certains l’importance du lien social en entreprise, quand cela était vécu par d’autres comme une libération permettant de se concentrer sur les tâches essentielles.

Un nouveau regard sur la notion de qualité de vie au travail, réinterrogeant la finalité de nos modes de fonctionnement, peut en sortir. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit le bien-être au travail comme « une harmonie satisfaisante entre d’un côté les aptitudes, les besoins et les aspirations du travailleur et de l’autre les contraintes et les possibilités du milieu de travail ». Les nouveaux modes de travail émergents peuvent ainsi contribuer à répondre à ces besoins en les adaptant aux attentes des collaborateurs.

Après les mesures défensives, il est temps de passer une nouvelle étape. Claude Bodeau explique ainsi :« La période que nous traversons nous pousse à appréhender le bien-être et la qualité de vie au travail différemment. Au-delà des changements de discours, des besoins nouveaux émergent dans des organisations plus conscientes de ces enjeux et de la nécessité de réinventer les façons de travailler. Après la mise en place de mesures défensives durant la crise (chômage partiel, gel de recrutements, arrêt de la production…) il est aujourd’hui important pour elles de déployer de nouvelles actions pour maintenir l’engagement des collaborateurs durablement et concilier qualité de vie au travail et performance. »