Les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d’énergie portent la lourde responsabilité de surveiller des milliers de kilomètres d’infrastructures pour veiller à une qualité de service de haut niveau. Il s’avère donc évident que la fonction de maintenance ait une place importante dans les stratégies d’investissement de ces entreprises, d’autant plus que le secteur de l’énergie impose des contraintes supplémentaires qui la complexifient. Quelles sont donc ces contraintes qu’il faut prendre en compte ? Et quels outils ou innovations technologiques mettre en œuvre pour réussir le défi de la maintenance ? 

Maintenance des réseaux d’énergie : des contraintes spécifiques à prendre en compte

Commençons par un exemple :  GRTgaz, le plus grand gestionnaire de réseau de transport de gaz en France, consacre plus de 40% de son budget d’investissement pour maintenir ses installations. La maintenance des réseaux d’énergie suit les règles générales de maintenance industrielle mais certains éléments de contexte intrinsèques à cette industrie imposent des contraintes spécifiques qu’il faut prendre en compte :

  1. La répartition géographique : les réseaux de transport et de distribution d’énergie s’étalent sur des milliers de kilomètres. Il faut donc disposer des moyens humains et logistiques pour suivre ce parc géant, l’impact sur le coût de maintenance étant non négligeable.
  2. La continuité de fonctionnement : la fourniture de l’énergie se fait en temps réel, un simple dysfonctionnement dans la chaîne peut provoquer une coupure avec éventuellement des conséquences socio-économiques graves. Il faut savoir que le coût d’une coupure d’électricité supérieure à 3 minutes est 200 fois plus élevé que le coût de fourniture d’électricité. Certes, certaines conditions exceptionnelles et imprévisibles peuvent perturber le fonctionnement de la chaîne d’énergie comme le climat ou les accidents sur les infrastructures mais l’état du parc joue également un rôle important dans la sûreté de fonctionnement, d’où le grand intérêt de la maintenance préventive.
  3. La sécurité : elle est certes un enjeu important pour toute entreprise industrielle, mais elle l’est encore plus pour les entreprises d’énergie compte tenu de la gravité des accidents qu’il peut y avoir sur les installations. La réglementation joue, en outre, un rôle important dans la maîtrise des risques industriels. En effet, les gestionnaires de réseaux ont l’obligation de faire valider les plans de maintenance par l’administration et doivent mettre en place les mesures adéquates pour maîtriser leurs risques industriels.

Face à ces contraintes, les gestionnaires de réseaux cherchent à trouver un bon équilibre entre les actions de maintenance et les coûts associés afin de maintenir leur business model. Les nouvelles technologies de rupture constituent donc une bonne opportunité pour atteindre cet objectif.

L’utilisation des objets connectés : un atout pour une meilleure connaissance du parc industriel

Les industriels ont certes connu les objets connectés avant le grand public, mais la démocratisation de cette technologie a ouvert la porte à des solutions plus riches et moins onéreuses. Des avancées dans la télécommunication jouent également un rôle important dans la croissance de ce marché, et des startups comme Quwisio ou Sigfox proposent désormais des services de communication à bas coût et ambitionnent de connecter des millions d’objets.  Cela signifie pour les gestionnaires la possibilité de mettre en place des capteurs partout sur leurs réseaux. Par conséquent, le besoin de déplacement des agents pour l’inspection sera nettement amoindri, les objets connectés donnant plus de visibilité sur l’état du parc. Les masses de données générées par ces objets doivent être traitées avant d’être délivrées aux superviseurs des réseaux : des solutions de type GMAO (gestion de maintenance assistée par ordinateur) proposent d’assurer cette fonction. Certaines d’entre elles peuvent même bénéficier de versions mobiles offrant plus de flexibilité aux agents de maintenance pendant leurs interventions.

En avril 2015, GRTgaz et Eridanis ont présenté un nouveau modèle de bornes connectées installées le long des 33 000 kilomètres de canalisation permettant le repérage pendant les opérations de surveillance. La borne connectée permettra à GRTgaz d’avoir plus de visibilité sur son état sans nécessité de prévoir des déplacements, et d’être plus réactif en cas de détérioration. Cette expérimentation permettra également de pousser la réflexion vers de nouvelles applications des objets connectés dans la maintenance des ouvrages.

En parallèle de cet intérêt grandissant pour les objets connectés dans le secteur de l’énergie, des questions sérieuses sur la sécurité informatique risquent de freiner le développement de ces solutions dans le milieu industriel. Il faut donc intégrer cet élément dans la réflexion avant toute décision de lancement de projet d’outils.

Des drones pour parcourir les réseaux à la vitesse du vent

Les drones offrent de belles perspectives pour la surveillance des réseaux. Du fait de leur agilité et de leur rapidité d’action, ils peuvent être utilisés pour l’inspection des installations les moins accessibles. Plusieurs autres type d’opérations peuvent être confiées aux drones comme le contrôle de corrosion, la résistance des câbles ou tout simplement la prise de photos aériennes permettant la surveillance contre les actes intrusifs.

Ces appareils peuvent également collaborer avec les agents de maintenance qui les contrôleront à distance pour effectuer les opérations d’inspection habituelles. Ainsi, les visites physiques sur site seront réservées aux anomalies. Le gain attendu grâce à l’optimisation des déplacements rend évident l’intérêt économique des drones.

Jusqu’ici, ces derniers ont toujours été piloté par un humain. Demain, on peut imaginer une flotte de drones autonomes circulant le long d’une ligne électrique pour la contrôler, et remontant ensuite les informations à un système central chargé de les analyser et programmer les opérations de maintenance adéquates.

Plusieurs entreprises ont lancé des initiatives liées au drones : ENGIE a investi 2 millions d’euros dans la startup RedBird qui a déjà travaillé avec la filiale GRTgaz sur des tests de surveillance de gazoduc. ERDF a signé 2 contrats avec l’entreprise grenobloise Delta Drone pour utiliser ses drones dans la maintenance, et RTE encourage les travaux de recherches dans ce domaine en nouant un partenariat avec l’UPMC. Au moyen orient, DEWA, l’autorité de l’électricité et de l’eau à Dubaï, utilise les drones pour superviser les installations de panneaux solaires. Plus globalement, des entreprises comme BP ou Shell utilisent déjà les drones pour superviser les endroits les moins accessibles des installations pétrolières.

En France comme à l’étranger, les entreprises semblent avoir saisi le potentiel des drones, et cherchent toutes à construire les meilleurs cas d’usage.

La réalité augmentée pour rendre l’information visuelle

Comme les objets connectés, la réalité augmentée est déjà présente chez certains industriels depuis un certain temps, mais son coût ne permettait initialement pas de développer des applications à grande échelle. Aujourd’hui, le marché de la réalité augmentée est boosté par des applications grand public qui poussent les coûts à la baisse. Les industriels du secteur de l’énergie pourront donc en tirer profit pour trouver des applications plus élargies, notamment dans la maintenance.

Les agents de maintenance se basent dans leurs opérations sur plusieurs sources d’informations (guide d’opération, documentation technique…). L’intérêt de la réalité augmentée est de fournir à l’agent l’information dont il a besoin au bon moment et sans qu’il mette du temps à la trouver. En utilisant des techniques d’identification de matériels comme les codes QR ou les puces RFID, les lunettes de réalité augmentée peuvent afficher les informations liées au matériel identifié ou interagir avec d’autres applications pour afficher des indicateurs ou tout autre type de renseignements. Les lunettes peuvent également afficher des informations complémentaires comme la circulation du gaz sur un poste de livraison, les zones dangereuses ou les consignes de sécurité… Il est clair que les applications de la réalité augmentée sont nombreuses et peuvent apporter une vraie valeur ajoutée aux agents de maintenance. On peut même imaginer utiliser ces lunettes comme supports d’applications à la demande s’adaptant aux besoins ponctuels des agents de maintenance.

GRTgaz a lancé en avril 2014 une expérimentation d’un prototype de réalité augmentée développé sur tablette numérique. La réalité augmentée représente un axe fort dans la politique d’innovation de GRTgaz, comme pour ERDF qui s’est procuré ses propres lunettes de réalité augmentée développées par la startup française Levels3D.

De l’autre côté de l’atlantique, Daqri, une startup ambitieuse cherche à commercialiser la prochaine génération de casques de sécurité dotés de la réalité augmentée, son casque est déjà en train d’être testé par 10 entreprises de Fortune 500.

La mise en place de ces technologies dans le secteur de l’énergie aura pour effet la modification des conditions de travail et des tâches des agents de maintenance. Elle devra faire l’objet d’une stratégie de conduite du changement adaptée, garantissant la bonne appropriation et utilisation de ces nouveaux outils.

Quoi qu’il en soit, les technologies de rupture constituent une opportunité pour les gestionnaires de réseaux pour optimiser leurs opérations de maintenance et peut être développer de nouveaux usages. Toutes les expérimentations mises en place montrent une bonne réactivité à ces nouvelles opportunités. Il est donc nécessaire de mettre en place des processus d’innovation capables de tirer le maximum de ces percées technologiques incessantes.