Start-ups, Scale-ups, Licornes : Quel rôle dans l’économie de demain ?

Le 14 octobre 2021, le Club Les Echos Débats Prospective, en partenariat avec Wavestone, Delville Management et IESEG School of Management, recevait le 14 octobre 2021 Benjamin Paternot, Directeur Exécutif du Fonds des Fonds de Bpifrance Investissement, et Philippe Collombel, General Partner et Founding Partner de Partech, pour échanger autour du thème : « Start-ups, Scale-ups, Licornes : Quel rôle dans l’économie de demain ? ».

BpiFrance et Partech sont des acteurs majeurs de l’écosystème de start-ups en France

Benjamin Paternot, Bpifrance Investissement

BpiFrance gère à ce jour 45 Md€ d’actifs via 500 fonds (portant des participations dans 5000 entreprises environ), et investit 1,2 Md€ chaque année dans le secteur.

Philippe Collombel, Partech

Partech, fonds d’investissement privé, accompagne des start-ups tout au long de leur parcours : son portefeuille compte environ 170 entreprises, dont 80 en France, avec notamment des start-ups emblématiques comme ManoMano, Sorare ou DailyMotion.

Durant notre échange, les intervenants ont ainsi pu partager leurs points de vue complémentaires sur l’état de santé des start-ups en France, le rôle de ces entreprises de croissance dans l’économie de demain, et les leviers à activer pour les développer encore plus vite : liens avec les grandes entreprises, financement et formation des talents, notamment.

Florian Carrière

Florian Carrière, Senior Manager chez Wavestone a brièvement introduit le sujet en rappelant la forte dynamique de croissance des start-ups françaises en 2021 (fin septembre : 8,3 Md€ de fonds levés, 17 opérations supérieures à 100 M€), et leur poids croissant dans l’économie (contribution de 6% à la croissance sur la période 2020-2025, alors qu’elles ne représentent que 2% des salariés). Une comparaison à l’échelle internationale a ensuite permis de montrer la marge de progression encore très importante, notamment en termes de financement. Enfin, les principaux freins identifiés par les entrepreneurs (baromètre France Digitale et EY) ont été partagés, pour amorcer l’échange entre les intervenants.

Start-ups : un écosystème en plein boom, sur des fondamentaux solides

L’état de santé des start-ups en Europe – et notamment en France – est très bon, comme le démontre la croissance forte des levées de fonds ces dernières années : plus de 70 milliards de dollars devraient y être investis cette année dans des start-ups technologiques, soit un doublement par rapport à 2020, et une multiplication par 4 en 5 ans.

Cette vague de financement permet notamment de faire émerger des géants : la France compte aujourd’hui près d’une vingtaine de « licornes » (valorisées à plus d’1 Md$) dont 13 apparues en 2021 seulement, et l’Europe une quarantaine de « décacornes » (valorisées à plus de 10 Md$), comme Revolut ou Deliveroo.

Benjamin Paternot

Benjamin Paternot

Directeur Exécutif du Fonds des Fonds de Bpifrance Investissement

Les valorisations sont élevées, mais ces entreprises ont des niveaux de revenus très élevés, avec une croissance très importante

Si ces niveaux de valorisation peuvent rappeler les exubérances de la « bulle Internet » du début des années 2000, une différence de taille doit être notée : les revenus de ces entreprises sont cette fois très importants et leur croissance très rapide. Près d’un quart des start-ups du portefeuille de Partech voient ainsi leur CA doubler chaque année.

Par ailleurs, ces niveaux de financement et la qualité de l’accompagnement permettent aujourd’hui aux start-ups européennes de changer de dimension : nombre d’entre elles, comme Mirakl ou Ecovadis par exemple, intègrent déjà dans leurs plans un développement bien au-delà des frontières européennes. Pour tenir sa place de façon pérenne sur l’échiquier économique mondial, l’Europe doit continuer à accompagner cette tendance.

Enfin MM. Paternot et Collombel s’inscrivent en faux quant à l’orientation préférentielle des start-ups françaises vers le B2B, notée par certains observateurs : Ledger, Sorare ou BackMarket, sont chacune en position de devenir leader sur leur marché B2C.

Des enjeux et leviers clés pour développer encore (plus vite) l’écosystème français

« Co-opétition » entre start-ups et grandes entreprises » 

Les grandes entreprises sont naturellement en difficulté lorsqu’il s’agit d’innover : souvent, cela revient à mettre en risque, voire cannibaliser, leur business model actuel. Néanmoins elles sont conscientes de la nécessité d’innover en trouvant de nouvelles opportunités de développement ou de nouveaux business models.

Là se niche une opportunité intéressante pour les start-ups, qui peuvent co-développer des marchés ou des produits avec ces grandes entreprises, et dans certains cas aller jusqu’à se faire racheter, permettant à la grande entreprise de pérenniser une capacité d’innovation intéressante.

Ce fonctionnement symbiotique, très naturel aux Etats-Unis, n’est pas encore totalement acquis en France sur le plan culturel : l’enjeu pour les pouvoirs publics est donc de faciliter la cohabitation entre ces deux mondes, afin de maximiser le développement de valeur au plan national.

Philippe Collombel

Philippe Collombel

General Partner et Founding Partner Partech

Si les grands groupes savaient innover, nous n’existerions pas

Financement : un enjeu de souveraineté

Si la souveraineté des grandes entreprises a toujours été un sujet majeur, elle le devient également pour les scale-ups, appelées à devenir les géants économiques de demain. Or le constat partagé par nos intervenants est limpide : aujourd’hui plus de la moitié des tours de financement des start-ups européennes sont menés par des fonds américains, ce taux montant même à plus de 90% en late stage.

Concrètement, cela signifie que l’Europe sait financer l’émergence de start-ups, mais ne parvient à suivre les besoins de financement en situation d’hyper-croissance : il est donc essentiel de faire émerger des acteurs paneuropéens capable de faire ces investissements majeurs (growth equity), encore trop peu nombreux malgré les énormes progrès réalisés ces dernières années.

L’objectif n’est pas, bien entendu, d’empêcher le financement par des fonds non européens (américains pour la plupart), souvent très utiles au développement mondial de ces start-ups, mais bien de trouver un équilibre, afin que l’Europe profite également des fruits de ce développement.

En France notamment, se pose la question d’une réorientation d’une partie de l’épargne de long terme vers le financement de ces entreprises en croissance : question délicate, où l’équilibre entre risque et liquidité doit être bien mesuré.

Les start-ups industrielles, levier de réindustrialisation

Si les start-ups les plus emblématiques ont pour la plupart émergé dans le domaine du digital, bien d’autres secteurs d’activité sont aujourd’hui investis par ces jeunes pousses.

Ainsi, BpiFrance et Partech partagent avoir financé, ces derniers mois, de nombreuses start-ups dans l’agriculture, la santé, ou la transition écologique par exemple, mais plus largement dans la quasi-totalité des domaines cités dans le cadre du plan France 2030. En mobilisant les leviers de la technologie (IA, robotique, etc.), ces entreprises développent des activités industrielles significatives.

Toutes ces start-ups, qui au fur et à mesure ne sont plus des start-ups mais de vraies entreprises avec beaucoup de salariés, ont un rôle fondamental à jouer sur la réindustrialisation de la France

Benjamin Paternot

Le développement de ces start-ups industrielles semble encore pour partie devant nous : les fonds d’investissement, et notamment un acteur comme BpiFrance, peuvent ainsi peser pour favoriser l’implantation de nouvelles lignes de production sur le territoire national.

Dans ce cadre le développement d’écosystèmes régionaux est d’ores et déjà pris en compte par les acteurs, afin d’améliorer l’attractivité par exemple : plusieurs start-ups parisiennes créent ainsi des centres de développement technologique dans des grandes villes (hors Paris) pour attirer de nouveaux talents, et Bpifrance investit dans des fonds dédiés à des régions particulières en France.

La guerre des talents : l’enjeu clé

Mais le nerf de la guerre est aujourd’hui le recrutement, cité par les start-ups comme le principal frein à leur développement : cela n’est malheureusement pas une surprise, et ce malgré le très bon niveau d’attractivité des start-ups ces dernières années (par rapport aux grandes entreprises par exemple).

En effet, les profils recherchés par ces start-ups sont en tension depuis de nombreuses années déjà : le volume d’étudiants formés aux compétences technologiques et digitales (clés dans le monde des start-ups) est depuis longtemps insuffisant. Or l’adaptation des systèmes de formation ne peut se faire que dans la durée : il est donc essentiel d’agir rapidement.

Au-delà du développement des filières de formation se pose la question de l’orientation et de l’attractivité de ces formations « scientifiques » (au sens large) : M. Collombel déplore par exemple l’allègement trop rapide de la formation en mathématiques dès le lycée.

Enfin la guerre des talents se joue désormais à l’échelle mondiale : la qualité des profils formés en France est très largement reconnue, mais la France pourrait aussi être plus attractive pour des profils internationaux, dès leur formation.

Enfin, après avoir formé suffisamment de profils, il faudra aussi savoir les retenir… !

Philippe Collombel

Philippe Collombel

General Partner et Founding Partner Partech

Il y a un enjeu sociétal très important d’attirer un public plus large vers la création d’entreprise

Diversité : la clé du développement ?

Au-delà des enjeux RSE, essentiels mais déjà chevillés au corps de nombreux entrepreneurs, la diversité peut également être envisagée comme un levier pour débloquer ce frein lié à un nombre insuffisant de talents : l’écosystème actuel (start-ups, mais aussi fonds d’investissement) est très homogène en termes de diversité, parité, de formation, etc.

L’enjeu est d’attirer un public plus large vers la création d’entreprises : plus de femmes, plus de mixité sociale, plus de profils internationaux, plus de variété dans les formations représentées : et si le développement des start-ups passait par celle d’une société plus inclusive ?


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Le Club Les Echos Débats, ce sont 20 conférences par an au coeur des sujets de la nouvelle économie. Wavestone est associé aux Echos pour le Club Transformation Digitale parce que la transformation digitale est le cœur de métier de Wavestone et au Club Prospective parce qu’il est important plus que jamais de scruter le futur pour analyser, identifier les tendances et détecter les ruptures qui vont intervenir.

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