Auteurs

Thomas GAILLARD

Thomas Gaillard,
Partner

Paul Mathieu,
Consultant

Anne-Louise Fournier,
Consultante

Face à l’explosion des usages du numérique, amplifiée par la crise liée au Covid-19, et alors que l’accélération de la transition écologique est souvent citée dans les feuilles de route et plans de relance pour préparer « le monde d’après », la question de la réduction de l’empreinte carbone du numérique semble plus que jamais d’actualité.

La crise sanitaire pourrait-elle créer l’opportunité d’infléchir la trajectoire d’un développement numérique encore trop souvent décorrélé de toute préoccupation écologique ?

De la mesure de l’impact environnemental de son système d’information au pilotage d’une stratégie de sobriété numérique, quelques réflexions, sources utiles et actions envisageables à court terme pour les services publics.

Le 17 mars, le confinement est entré en vigueur en France. Les administrations comme les entreprises ont été contraintes dans ce cadre d’organiser le travail à distance de leurs collaborateurs. Les mieux préparées ont eu besoin de quelques jours pour s’adapter à ces nouvelles conditions. Toutes les organisations n’étaient pas prêtes, technologiquement et culturellement, à basculer sur cette configuration. Elles ont dû par conséquent opérer une transformation numérique interne dans des délais records, là où on avait pu jusqu’à présent se heurter à des résistances.

Par ailleurs, afin de prévenir un accroissement de la fracture numérique l’Etat a lancé dans ce contexte la plateforme numérique « solidarité-numérique » afin d’aider les personnes éloignées des usages numériques en les orientant directement vers les services en ligne essentiels. Cette solution a été complétée par la mise en place d’un numéro téléphonique dédié à l’accompagnement des usagers dans la prise en main des services publics dématérialisés (1).

Mais on doit s’interroger sur l’impact environnemental de ces nouveaux outils qui ont vu leurs usages s’accélérer pendant la pandémie. La visio-conférence, les plateformes de travail collaboratif et les applications numériques déployées pendant ce confinement sont très consommatrices en énergie. Ces réflexions questionnent donc aussi la capacité de résilience et de fonctionnement en mode dégradé du numérique et donc de la pertinence de l’hybridation de solutions low tech et high tech.

Or l’enjeu est grand dans les services publics où encore moins de 20 % des démarches administratives sont dématérialisées (au sens qu’elles peuvent se réaliser entièrement en ligne, que les usagers peuvent interagir avec les agents, et que les agents eux-mêmes peuvent œuvrer collectivement à la réponse et l’instruction d’une demande) et que l’objectif fixé par le Gouvernement vise à offrir 100% des services publics dématérialisés aux Français à horizon 2022.

Envisager un changement de paradigme au travers de la sobriété numérique

Apparu en France il y a une dizaine d’années, le concept de sobriété numérique a vocation à promouvoir l’éco-conception des projets numériques, les low-tech ainsi que les pratiques visant à réduire l’empreinte écologique du numérique. Ce concept a largement émergé à la suite de rapports, notamment ceux publiés par le think-tank The Shift Project.

Consommer du numérique, c’est donc à la fois une quantité d’intrants nécessaires à l’utilisation du numérique, à l’énergie consommée pour l’utilisation des infrastructures réseaux et des terminaux, à l’énergie dépensée pour faire circuler les informations à partir des Datas Center, mais aussi et surtout à la fabrication de ces technologies.

La pollution numérique se définit comme la pollution immédiate et directe de la consommation numérique. Elle se caractérise par une émission de gaz à effet de serre, proche de celle mesurée pour la circulation des poids lourds.

Répartition des gaz à effet de serre du numérique dans le monde

Depuis longtemps, le numérique est perçu comme un moyen pour de nombreuses administrations de devenir smart, autrement dit d’améliorer la qualité de leurs services et de réduire leurs coûts, y compris écologiques, liés à l’essor du numérique, qui sont plus importants que ce que l’on imagine. Aujourd’hui, la consommation énergétique mondiale du numérique est en hausse de 9 % chaque année (2) et le numérique représente plus de 4% des émissions de C02 mondiales contre 2% pour le transport aérien civil. La difficulté pour inverser la tendance réside dans le fait que cette pollution est invisible et qu’il est donc difficile de l’appréhender.

En 2018, le rapport de la Cour des comptes notait que la stratégie d’Etat plateforme devait “dépasser la simple dimension technologique” pour “faire évoluer l’action publique vers un modèle reposant sur des “communs numériques” (données, logiciels, services numériques, API). Il faudrait désormais rajouter à cette recommandation l’injonction d’inclure la mesure de l’empreinte carbone dans le développement des services numériques publics. En effet le service public se doit d’être exemplaire en accélérant sa transition écologique sur les sujets numériques. Il s’agit de concrétiser sa transformation à travers des initiatives nationales et locales mais aussi de répondre à une aspiration profonde des agents et de la société civile.

Faire le choix de maîtriser l’empreinte écologique du numérique : regards sur les leviers d’actions

Comme on vient de le voir, tout usage numérique a un impact environnemental. Plusieurs rapports (Conseil national du numérique (CNNum), Sénat ou encore The Shift Project) posent des recommandations. Fin juin 2020, la mission d’information du Sénat relative à l’empreinte environnementale du numérique a été la première à faire connaître ses propositions : elle a publié sa feuille de route (3), “Pour une transition numérique écologique”, regrettant l’absence de stratégie transversale publique visant à atténuer les impacts environnementaux du numérique, listant 25 propositions (ex : installation de data centers en France, former les nouvelles générations à un numérique sobre, mettre à disposition des collectivités territoriales un cadre méthodologique d’évaluation environnementale).

A l’échelle d’une administration il est possible d’intégrer la sobriété numérique comme un axe du pilotage et du développement des usages numériques et des systèmes d’information en s’appuyant sur cinq principes structurants :

1/ Penser sobriété du numérique avec une approche « globale » lors de l’acquisition publique de biens numériques

La production des terminaux correspond à 40% de l’empreinte environnementale du numérique (4). Ce constat interpelle sur la nécessité d’investiguer la sobriété du numérique. Il convient alors de penser « économie circulaire » (5) dès la fabrication, en produisant de manière durable, en limitant la consommation et le gaspillage de ressources et en favorisant le réemploi et le traitement des déchets électroniques (6). La fabrication d’un ordinateur de 2 kg équivaut à 800 kg de matières premières mobilisés et 124 kg de CO2 générés, sur les 169 kg émis sur l’ensemble de son cycle de vie (7).

Pour les éditeurs de solutions, la sobriété numérique n’est pas un principe directeur de la fabrication. Or les critères d’attribution liés au coût du cycle de vie ou des externalités environnementales sont insuffisamment pris en compte dans les appels d’offres publics d’acquisition ou de leasing de matériel. Les contraintes de sobriété énergétique doivent davantage être intégrées dans les politiques d’achats publics. La sphère publique doit considérer les critères de réparabilité, de recyclage ou de réemploi lors de l’acquisition des équipements.

Penser « global » c’est aussi disrupter l’offre de service en matière numérique et informatique. Les directions des systèmes d’informations de la sphère publique fonctionnent encore trop souvent en mode guichet, sollicitées pour répondre aux besoins cloisonnés des métiers. Cette approche engendre la multiplication des solutions numériques pour des usages similaires. La conception des schémas directeurs numériques décloisonnant les approches métier par des référentiels de cas d’usages partagés est de nature à limiter ce risque de redondance.

2/ Sensibiliser et modifier les usages des administrés et des agents

Des actions simples liées à l’usage quotidien des technologies peuvent limiter l’impact environnemental du numérique. Le simple fait de partager les indicateurs de nos pratiques digitales peuvent inciter à questionner des pratiques bien ancrées.

Les agents ont dû travailler à distance du jour au lendemain en raison des mesures de confinement mises en place pour lutter contre le Covid-19. Ainsi, l’adoption des solutions collaboratives a été accélérée au sein des administrations afin de garantir la continuité de l’activité et du service public. Deux nouveaux outils collaboratifs, baptisés Osmose et Plano, ont été déployés afin de faciliter les réunions à distance (7). Résana, plateforme de stockage et de partage de documents, portée par la préfecture de région Nouvelle Aquitaine depuis 2018, a vu son nombre d’utilisateurs dépasser les 15 000 en mai 2020. Au-delà des bénéfices apportés par ces outils sur le travail des agents, ces solutions collaboratives répondent principalement à l’enjeu de réduction de l’empreinte écologique du numérique. Cinq personnes voyageant d’un bout à l’autre des États-Unis génèrent environ 3000 kg de CO2 contre 20 à 120 grammes seulement pour une réunion vidéo.

D’autre part l’application du principe de sobriété dans la gouvernance et dans le stockage des données doit permettre d’aboutir à stocker les cas d’usages indispensables et validés en amont d’un projet, afin de conserver des ressources et prioriser leurs usages.

Si on tire le principe de sobriété jusqu’au bout, il est nécessaire de réinterroger le principe de développement systématique d’usage numérique en conservant sur certains cas d’usage de manière assumée des interactions administrations/administrés sur le principe de relations matérielles empreintes d’interactions physiques entre individus (8).

3/ Mesurer l’empreinte écologique de son système d’information

Savoir d’où l’on part, objectiver sa situation est nécessaire pour sensibiliser les acteurs, se fixer des objectifs atteignables et suivre leur degré d’atteinte dans le temps. Le référentiel environnemental du numérique proposé par The Shift Project constitue une grille d’analyse exhaustive pour réaliser ces mesures : mesurer un impact global de l’énergie et des matières premières mobilisées par la production et l’utilisation des applications, des usages, des infrastructures et réseaux. Les administrations doivent se doter de grilles d’audit, de référentiels de facteurs d’émissions ou de bilan GES pour mesurer l’impact écologique de leur SI.

sobriété numérique

4/ Optimiser les infrastructures

Les infrastructures réseau et les data centers représentent 34% des émissions mondiales de gaz à effet de serre du numérique. L’enjeu pour les administrations consiste désormais à disposer d’une stratégie d’infrastructure (serveurs, réseaux, systèmes de sauvegarde…) et d’équipement permettant d’accélérer les synergies inter-métiers (approche Cloud ou Software as a Service (SaaS), API …).

Il s’agit aussi de choisir des fournisseurs cloud, d’application ou d’hardware, transparents sur l’impact environnemental de leurs services numériques. Les administrations doivent développer une pratique d’architecture métier et challenger tout achat de nouveaux services ou toute augmentation de la capacité de stockage des données par rapport aux besoins.

5/ Allonger la durée d’amortissement des équipements informatiques

Le renouvellement des équipements informatiques professionnels est aujourd’hui principalement dicté par l’amortissement comptable. En 2018, la quantité d’équipements professionnels mis sur le marché a augmenté de 26% en seulement un an. Il s’agit de réduire cette surconsommation court-termiste du numérique en se basant principalement sur les usages et l’usure physique des équipements informatiques. Il est impératif de prolonger l’utilisation des terminaux au maximum, au-delà de la seule durée d’amortissement comptable.

Intégrer la sobriété numérique au cœur des smart territoires

Être un smart territoire, c’est s’appuyer sur les nouvelles technologies pour améliorer la qualité de ses services et réduire les coûts y compris écologiques… tout en réfléchissant à l’impact écologique du numérique avant même de lancer un projet. Les élus et les cadres chargés de décider et mettre en œuvre des projets numériques doivent raisonner en cas d’usages et faire la balance entre les gains liés aux nouveaux usages et l’impact écologique de la solution numérique : impacts énergétiques, émissions de gaz à effet de serre, métaux utilisés, volume de terre extrait, terminaux utilisés…

Le niveau de maturité des collectivités quant à la sobriété numérique est disparate et reste encore embryonnaire pour la plupart. Si de grandes collectivités territoriales comme le Conseil Régional de Bretagne ont inscrit la sobriété numérique au cœur de leur schéma directeur numérique, d’autres, plus petites, accélèrent les projets numériques (dématérialisation, portail citoyen…) et prennent assez peu en compte l’empreinte écologique du numérique.

Les collectivités doivent aussi affiner leur stratégie numérique en engageant leurs projets éclairés de toute l’offre de services déjà à disposition des acteurs publics (France Connect, démarche simplifiée…). C’est la seule condition pour éviter de démultiplier les initiatives numériques. Il ne s’agit plus de construire « des communs numériques » cloisonnés mais de susciter des synergies et ainsi faire passer la sobriété numérique d’une incantation collective à une réalité partagée.

Wavestone porte une action résolument engagée et responsable

 

Le rôle de Wavestone, c’est d’abord de proposer à ses clients, et de construire avec eux, de nouveaux modèles de services et d’infrastructure numérique reposant sur un usage vertueux des technologies digitales au service d’une croissance solidaire et respectueuse de l’empreinte écologique.

Nous avons besoin de l’innovation digitale pour rendre notre administration plus efficace, pour gérer nos villes et nos territoires de manière plus sage et frugale. Il faut rendre connectés les éléments centraux de la gestion des villes – gestion des flux et de l‘intermodalité, de la collecte des déchets, de l’éclairage public, etc. qui portent une vraie promesse d’optimisation de leur fonctionnement au service de la réduction de leur empreinte carbone et de leur frugalité générale.

Il n’y a pas de développement économique et territorial sans un échange permanent de datas entre les acteurs socio-économiques du territoire, pas de transition écologique sans une collecte et une exploitation en temps réel des données pertinentes pour comprendre l’impact environnemental d’une activité économique.

C’est le sens de notre engagement auprès des acteurs de la transition écologique et solidaires (Ministère, acteurs socio-économiques, leader d’opinion …) et auprès des smart territoires.

Index

(1) https://solidarite-numerique.fr/a-propos

(2) « Pour une sobriété numérique », The Shift Project, octobre 2018

(3) Rapport « Pour une transition numérique écologique » – Sénat – Juin 2020

(4)https://www.wavestone.com/app/uploads/2020/01/2020_Wavestone_Circular_Economy.pdf

(5) Rapport annuel des équipements électriques et électroniques, ADEME, 2018

(6) « La face cachée du numérique », ADEME, octobre 2019

(7) https://www.numerique.gouv.fr/actualites/teletravail-osmose-et-plano-2-nouveaux-outils-numeriques-collaboratifs-pour-les-agents-etat/

(8) https://www.wavestone.com/fr/insight/repenser-la-relation-etat-usagers-benefices-numerique-pour-tous/

(9)