Insight

L’IA au service d’une meilleure compréhension de l’empreinte carbone du numérique

Publié le 29 septembre 2025

  • Transition écologique et sociétale
Data media footprint

Key takeaways

  • Engagement des fournisseurs : la transparence (méthodologies de mesure, complétude) reste un enjeu clé en 2025 doit être systématisée à des fins de comparabilité
  • Apport de l’IA : l’utilisation d’algorithmes type machine learning permet de démontrer que l’utilisation de facteurs d’émissions monétaires spécifiques aux fournisseurs n’est pertinente qu’à condition de s’être assuré de la rigueur méthodologique du fournisseur (à défaut les facteurs d’émissions monétaires sectoriels de l’ADEME doivent continuer à être utilisés)

La mesure d’empreinte carbone est devenue en quelques années une étape incontournable des stratégies RSE des organisations : avant d’agir, il est en effet nécessaire d’avoir une vision globale de ses émissions de gaz à effet de serre (GES). La Directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) (s’ouvre dans un nouvel onglet), ou plus récemment l’« Omnibus » (version allégée de la CSRD), va sensiblement renforcer cette dynamique dans les prochaines années en Europe et au-delà.

Les communications environnementales, sur la mesure de GES (ABC, CDP) ou les trajectoires d’entreprises (Science-Based Targets intiative) se multiplient fortement, avec un doublement du nombre de bilans carbone réalisés chaque année.

La mesure de l’empreinte carbone nécessite deux informations clés :

  1. Les « données d’activités »
  2. Les « facteurs d’émission (FE) » qui permettent leur conversion en équivalent GES

Ces FE peuvent être de 2 types : physiques ou monétaires. Différentes sources de FE monétaires sont disponibles, telles que DEFRA ou BEIS (Royaume-Uni), ou encore l’EPA (États-Unis). En France, la Base Empreinte® de l’ADEME (s’ouvre dans un nouvel onglet) fait office de référence et fournit 185 facteurs d’émission monétaires (à date de juin 2025). Ces modélisations financières reposent sur des moyennes sectorielles ou nationales, construites via une analyse matricielle entre les tableaux entrées-sorties (TES) de la comptabilité nationale et l’inventaire national des émissions de GES.

A noter que les ratios monétaires proposés restent nettement moins précis et fiables que les facteurs d’émissions dits « physiques », basés sur des données d’activités. Pourtant dans les faits, faute de données disponibles, les entreprises recourent encore massivement à ces FE monétaires.

Par ailleurs, aujourd’hui, il est estimé qu’1 entreprise sur 2 sous-estime grandement son empreinte carbone. Le scope 3 est en moyenne sous-évalué de 40 %, tous secteurs confondus, et jusqu’à 60 % dans le secteur de l’IT (Etudes Nguyen et al, 2021 (s’ouvre dans un nouvel onglet) ; Klaaßen et Stoll, 2021 ; Pothin, 2025). Cette sous-évaluation provient principalement d’une mauvaise prise en compte des achats de biens et services dans le scope 3 (Klaaßen et Stoll, 2021 ; Pothin, 2025).

Ainsi, si les organisations ont généralement plus de facilité à quantifier les émissions GES liées aux scopes 1 et 2, la mesure du scope 3 demeure épineuse. Cette complexité s’explique notamment par :

  • Un défaut de maturité des FE proposés par les bases de données disponibles (ADEME…).
  • Une inhomogénéité des FE construits par les organisations, en particulier sur les activités numériques.
Analyse empreinte carbone - Scope 3 - Wavestone Aguaro Toovalu

Figure 1 : différence de répartition de l’empreinte carbone selon la méthode de calcul des facteurs d’émission monétaires utilisés

Ces limites peuvent avoir des impacts directs sur les priorités de décarbonation des organisations comme représenté par la figure 1. Le poste associé aux “achats” représente ici 70 % de l’empreinte carbone de l’entreprise A, contre 41 % pour l’entreprise B. Ces différences de proportion s’expliquent par le choix de facteurs d’émission différents.

 

L’IA comme levier de fiabilisation

L’utilisation des nouvelles technologies, telle que l’IA, offre un nouvel éclairage sur les enjeux de fiabilisation et d’harmonisation des facteurs d’émission monétaires (FEM). C’est en ce sens que Toovalu (s’ouvre dans un nouvel onglet), Aguaro (s’ouvre dans un nouvel onglet) et Wavestone se sont associées pour expérimenter une approche alternative et évaluer l’opportunité d’avoir une modélisation plus fiable des FEM du secteur du numérique.

Quelle est cette approche ?

Cette approche repose sur l’analyse de données financières et comptables de 1 190 organisations internationales (dont 276 entreprises françaises) sur l’année 2022 appartenant aux secteurs des services numériques et du conseil. Ces organisations ont été réparties en 3 catégories selon leurs nomenclatures ® et NAF.

Secteur Code GICS® Code NAF Nombre d’acteurs Exemples d’entreprises

Conseil informatique

202020

J62_63

550

Wavestone, Bureau Veritas, SIA Partners

Logiciels et services numériques

4510

J61

540

Adobe, Microsoft, Oracle

Services web et marketing

5010 & 5020

J62_63

160

Alphabet. JC Decaux, Publicis, Ipsos

Pour estimer un FEM spécifique à une organisation, il convient de rapporter les émissions de GES déclarées par cette entreprise à son chiffre d’affaires. En amont, les données financières doivent être exprimées en une seule et même devise, dans notre étude l’euro (avec conversion préalable si nécessaire ).
En agrégeant ces ratios à l’échelle d’un secteur d’activité ou d’un type de service, il est ainsi possible de calculer un FEM représentatif du groupe d’acteurs.

A travers cette étude, des FEM moyens pour les 3 catégories ont été estimés en agrégeant pour une même organisation considérée les éléments suivants :

  • Les données financières issues de Bloomberg (chiffre d’affaires, nombre d’employés),
  • Les données environnementales provenant des rapports d’activités publiés par les organisations (qui suivent principalement la méthodologie GHG Protocol).

Au final, les FEM moyens calculés selon la méthodologie décrite ci-dessus (et présentés en figure 2) se révèlent inférieurs aux FEM proposés par l’ADEME.

Figure 2 : ratios monétaires bruts

FEM ADEME FEM Fournisseurs

Conseil Informatique 
550 acteurs

Code GICS 202020;
Code NAF-J62_63

FE de l’ADEME
« Programmation, conseil IT et services d’information » est de 75KgCO2e/K€HT

54KgCO2/k€

Logiciels et services numériques
450 acteurs

Code GICS 4510
Code NAF-J61

FE de l’ADEME
« Télécommunications » est de 136KgCO2e/K€HT

90KgCO2/k€

Services web & Marketing 
160 acteurs

Code GICS 5010 & 5020
Code NAF-J62_63

FE de l’ADEME
« Programmation, conseil IT et services d’information » est de 75KgCO2e/K€HT

49KgCO2/k€

Comment expliquer ces différences ?

Pour de nombreuses organisations, la majorité des impacts environnementaux associés à leurs activités sont issus du scope 3. La fiabilité de la mesure du scope 3 déclarée par les organisations est essentielle pour modéliser des FEM. Or, comme évoqué précédemment de précédentes études ont démontré que le scope 3 reste chroniquement sous-évalué par les organisations (Patchell, 2018).
Cette inexactitude peut s’expliquer par 3 principales erreurs commises (Klaaßen et Stoll, 2021) :

  1. Incohérence dans les rapports : les données carbone publiées via divers canaux (i.e. CDP, DPEF,…) peuvent différer pour un même périmètre. Les valeurs déclarées aux organismes tels que le CDP sont généralement de meilleure qualité par rapport aux rapports d’activité (Klaaßen et Stoll, 2021).
  2. Périmètres incomplets : le calcul des sous-postes du scope 3 est souvent partiel en raison des limites minimales fixées par le GHG Protocol.
  3. Exclusion d’activité : certains sous-postes pertinents du scope 3 ne sont pas déclarés alors qu’ils devraient l’être au regard du secteur d’activité (par exemple : 3-6 déplacements professionnels, 3-2 biens immobilisés).
Analyse empreinte carbone - 3 erreurs scope 3 - Wavestone Aguaro Toovalu

Figure 3 : les 3 erreurs réalisées lors du reporting des données du scope 3 (issu de l’étude de Klaaßen et Stoll, 2021).

Comment l’IA permet de fiabiliser les FEM moyens proposés ?

Sur la base de ces constats, l’approche suivie dans cette étude vise à réduire ces 3 erreurs (cf. incohérence dans les rapports, périmètres incomplets, exclusion d’activité).

Premièrement, les données environnementales utilisées dans cette étude proviennent de recherches académiques et scientifiques. Ces données sont ainsi issues des recherches de Pothin et al. (« Beyond Reported Emissions: Uncovering Hidden Corporate Carbon Footprints », 2025) et de Klaaßen et Stoll (« Harmonizing corporate carbon footprints», 2021) qui ont examiné l’empreinte carbone d’organisations de divers secteurs d’activité.

Selon ces chercheurs, les données d’empreinte carbone publiées dans des bases de données propriétaires telles que le CDP sont souvent plus fiables et comparables que les reportings issus des rapports RSE. Cela s’explique par l’existence d’un cadre méthodologique commun (par ex. GHG Protocol) et par la possibilité pour des tiers de relever d’éventuelles incohérences. »

Dans un second temps, un recalcul des émissions de GES des organisations a été effectué via l’utilisation d’algorithmes d’IA (Machine Learning et Deep Learning).
Ainsi, en comparant les émissions déclarées poste par poste aux moyennes sectorielles (pondérées par le nombre de salariés pour limiter l’effet volume), une correction à la hausse en cas de forte divergence est appliquée, afin de pallier les omissions et les périmètres incomplets :

  • Si un sous-poste pertinent n’est pas mesuré ou déclaré, l’algorithme estime une valeur sur la base d’autres variables (caractéristiques des organisations, facteurs environnementaux, maturité carbone…) et par comparaison avec des organisations similaires.
  • De même, lorsqu’une valeur existe mais apparaît trop faible par rapport aux moyennes sectorielles (en intensité), elle est corrigée.

Quels sont les résultats de cette étude ?

Des FEM moyens ont ainsi été construits pour chacune des catégories étudiées en mobilisant le Machine Learning. Les FEM moyens proposés dans le cadre de cette recherche sont présentés ci-dessous :

Resultats Analyse Wavestone Aguaro Toovalu

Figure 4 : comparaison des valeurs corrigées et non corrigées

Suite aux retraitements effectués, les FEM moyens sont finalement assez proches des valeurs suggérées par l’ADEME. Les écarts peuvent notamment s’expliquer par la différence de périmètre géographique couvert par l’approche de l’ADEME et cette étude.

Nous observons également que les moyennes sectorielles des organisations françaises sont meilleures que les moyennes constatées à l’échelle internationale. Cela s’explique par une meilleure intensité carbone du mix énergétique ainsi que par une meilleure maturité et prise en compte des enjeux climat par les organisations basées en France, poussées par les enjeux réglementaires et d’image.

Le taux d’incertitude associé à cette étude est inférieur à 10 %, ce qui représente une amélioration notable par rapport au taux d’incertitude des FEM traditionnels.
Cette réduction de l’incertitude provient principalement de l’échantillonnage, qui permet d’appliquer rigoureusement la loi de Student pour tester la significativité statistique. Les résultats obtenus sont ainsi significatifs au seuil de 1 % (p < 0,01), ce qui indique une très forte probabilité que les corrélations observées ne soient pas dues au hasard.

Quelles sont les forces et limites associées à ce travail ?

Ce travail s’inscrit dans la volonté d’enrichir les réflexions actuelles sur les FEM ; ses « forces» et «limites » sont présentées ci-dessous :

Points forts Limites

+ Démarche transparente grâce à l’utilisation d’une méthode ouverte.
+ Fiabilité des données grâce au Machine et Deep learning et aux comparaisons sectorielles.
+ Représentativité statistique pour chaque secteur d’activité.
+ Facilité d’utilisation et gain de temps pour les utilisateurs
+ Taux d’incertitude relativement bas (10 %) et inférieur aux approches traditionnelles.

− L’inflation n’a pas été comprise dans cette étude, ce qui peut en altérer les résultats.
− La dépendance aux données et aux hypothèses d’existence de comportements récurrents dans le cadre du Machine et Deep Learning.
− Pas de consensus sur la méthodologie à appliquer pour « ajuster » l’empreinte carbone.
− Difficulté de généralisation de l’étude dans le cadre d’entreprises de petites tailles.

Que conclure de ces travaux ?

Les FEM de l’ADEME peuvent parfois paraitre élevés lorsque comparés directement aux ratios en intensité issus des chiffres publiés par les organisations.

Les résultats de notre traitement via IA permettent de justifier l’approche conservative (approche borne haute) de l’ADEME concernant la valeur des FEM par nature d’activité.

Ces résultats ne remettent pas en cause l’enjeu pour les organisations d’engager leurs principaux fournisseurs dans une démarche de décarbonation, et de s’appuyer sur les estimations desdits fournisseurs pour estimer l’empreinte carbone des services ou produits achetés.
Ils rappellent néanmoins l’importance, à des fins de comparabilité, d’exiger des fournisseurs une transparence sur la méthodologie de mesure utilisée, et l’enjeu de s’assurer de la complétude de leur périmètre de mesure.

Enfin, ce travail s’inscrit dans une logique de production de « communs » : des ressources ouvertes, réutilisables par l’ensemble des acteurs, au-delà des seules organisations productrices des données. Dans cette optique, Wavestone, Toovalu et Aguaro restent à l’écoute de remarques et contributions additionnelles externes afin de prolonger et diffuser largement ces résultats.

Aguaro, Toovalu et Wavestone : une collaboration fructueuse

Aguaro, entreprise à mission, édite des applications depuis 2021 qui prolongent les outils digitaux des clients par de nouvelles fonctionnalités permettant de mesurer et surtout d’opérationnaliser les démarches de réduction de l’empreinte environnementale.

Wavestone est un cabinet de conseil qui accompagne les organisations dans leurs projets de transformation stratégiques et digitales. Notre portefeuille de savoir-faire nous permet d’adresser des programmes de transformation à 360°, tout en intégrant les enjeux environnementaux de nos partenaires. Avec plus d’une centaine de missions réalisées sur le numérique responsable, Wavestone dispose d’une forte expertise sur le sujet et se positionne comme un acteur de référence.

Toovalu est une entreprise à mission qui édite une solution logicielle de pilotage de stratégie climat & RSE qui engage depuis 2012 les décisionnaires à intégrer la responsabilité sociétale, les enjeux climat et plus généralement leur impact au cœur de leur stratégie. Dans cette optique, elle consacre entre autres, une partie de son énergie à la recherche pour répondre à cette problématique.
Depuis 2022, nos trois structures partagent des projets de recherche et développement sur différentes thématiques. Cette collaboration apporte une plus-value importante à nos clients communs dans le cadre de leur stratégie de réduction d’empreinte environnementale.

Auteurs

  • Benoit Durand

    Senior Manager – France, Nantes

    Wavestone

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  • Selim Suisse

    Senior Consultant – France, Nantes

    Wavestone

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