L’IA au service des parcs éoliens : du pilotage intelligent à la performance durable
Publié le 16 décembre 2025
- Transition écologique et sociétale
En bref
- Les coûts d’exploitation et de maintenance représentent jusqu’à 25 % du cycle de vie d’un parc éolien.
- L’IA permet justement de réduire jusqu’à 70 % les coûts d’inspection et d’augmenter la production de +2,7 %, grâce notamment à l’utilisation de drones et à la vision par ordinateur (computer vision).
- Les solutions IA contribuent aussi à limiter les impacts environnementaux et à améliorer la disponibilité des actifs.
- Les agents IA conversationnels intégrés aux plateformes d’Asset Performance Management (APM) accompagnent les techniciens sur le terrain, en accélérant le diagnostic, en priorisant les interventions et en améliorant la traçabilité des décisions.
En 2023, l’éolien couvrait près de 18% de la production d’électricité de l’Union européenne (ouvre un nouvel onglet), s’imposant comme un vecteur non négligeable de la transition énergétique.
Un constat s’impose pourtant. La maintenance des éoliennes constitue aujourd’hui l’un des postes de dépense les plus importants du cycle de vie des parcs : coûts de maintenance élevés, pannes imprévues, difficultés pour accéder aux turbines impliquant une perte de production significative (en particulier pour les parcs offshores). En Europe, les montants relatifs à l’exploitation et à la maintenance représentent de l’ordre de 20 % à 25 % des coûts totaux sur la durée de vie d’une centrale éolienne. À l’échelle mondiale, une analyse estime même que l’éolien terrestre a généré près de 15 milliards de dollars de coûts d’exploitation et de maintenance en 2019, dont environ 8,5 milliards liés à des réparations non planifiées (ouvre un nouvel onglet).
Face à cette réalité, comment l’IA peut-il optimiser la maintenance et le pilotage des parcs ? En quoi s’impose-t-elle aujourd’hui comme une solution clé pour réduire les coûts et augmenter la production et ainsi assurer un avenir florissant à l’énergie éolienne ?
De la maintenance subie à planifiée : l’IA transforme l’économie des parcs éoliens
La surveillance continue et la prédiction des pannes apparaissent comme des leviers essentiels pour contenir les coûts et limiter les interruptions de production. C’est précisément sur ces enjeux que l’intelligence artificielle apporte une valeur ajoutée : elle permet de tirer parti de la masse de données disponibles pour transformer la façon dont les parcs sont exploités.
Il est en effet important de rappeler ici qu’un parc éolien moderne génère un volume massif et varié de données : météorologiques (vitesse et direction du vent, température de l’air), machines (température des composants, vibrations, intensité du courant, états de la nacelle, orientation et pas des pales), ainsi que des images haute résolution issues de drones ou de caméras au sol, auxquelles s’ajoutent parfois des radars ou systèmes de détection de la faune. Les systèmes SCADA enregistrent typiquement des dizaines de variables toutes les dix minutes pour chaque éolienne, ce qui représente, à l’échelle d’un parc entier, des millions de points de mesure par an.
Grâce à ces données, de réels leviers d’optimisation sont rendus possibles par l’IA :
- Améliorer la disponibilité du parc : en détectant plus tôt les défaillances et en planifiant les interventions, l’IA réduit les arrêts imprévus et augmente le temps pendant lequel les éoliennes produisent réellement.
- Augmenter la production effective d’électricité : en optimisant le réglage des turbines (orientation, pas des pales) et en limitant les effets de sillage, l’IA permet de tirer davantage d’énergie du vent à infrastructures constantes.
- Réduire les coûts de maintenance : l’utilisation de drones autonomes et de la computer vision permet de réduire jusqu’à 70 % les coûts d’inspection. Les équipes interviennent ainsi au bon moment, sur les bons composants, en diminuant les visites inutiles et les réparations d’urgence.
- Mieux maîtriser les impacts environnementaux : en intégrant des capteurs (radars, caméras, IA) pour limiter les collisions avec la faune, l’IA contribue à une exploitation plus durable et plus acceptable des éoliennes.
L’optimisation par l’IA ne relève donc pas uniquement d’un « plus » technologique, mais bien d’une réponse structurée à des contraintes économiques et opérationnelles fortes auxquelles les exploitants sont déjà confrontés.
Maintenance optimisée et inspection automatisée : l’IA s’impose comme le nouveau standard
Concrètement, l’intelligence artificielle exploite les signaux générés par le parc (température, vibrations, intensité du courant, etc.) afin de prédire de futures pannes par l’intermédiaire d’algorithmes non supervisés de classification et de détection d’anomalies, capables de repérer des schémas annonciateurs de potentielles défaillances (ouvre un nouvel onglet). Par exemple une variation anormale des vibrations, un échauffement progressif du générateur, ou encore des sons caractéristiques d’une pale endommagée.
La qualité des prédictions sera d’autant plus précise et fiable que les données historiques d’entrainement sont nombreuses et de qualité. L’intérêt de ce type de modèle d’IA s’appuyant sur des algorithmes de Machine Learning par rapport à un logiciel de supervision classique est qu’il n’est pas statique. Il va apprendre et s’adapter au fil du temps aux nouvelles variables et problématiques rencontrées par le parc.
En parallèle de ces données issues de capteurs et microphones embarqués, des drones autonomes équipés de caméras haute résolution inspectent les pales et la nacelle, produisant des milliers d’images (ouvre un nouvel onglet). Les images obtenues sont ensuite analysées par des modèles de vision artificielle qui détectent automatiquement fissures, érosion, corrosion ou dépôts de saleté. On parle de Computer Vision. Les résultats issus de l’analyse par IA sont ensuite intégrés dans une plateforme cloud d’Asset Performance Management (APM), qui transforme les détections en alertes claires et hiérarchisées.
Concrètement, au lieu de devoir parcourir manuellement plusieurs centaines de photos, le technicien reçoit une liste ciblée d’anomalies, avec leur localisation précise et un niveau de gravité associé. À partir de là, l’humain reprend la main : il peut décider d’une intervention immédiate si le défaut est critique, programmer un suivi dans le temps pour un dommage léger, ou encore corriger un faux positif pour améliorer la prédiction du modèle IA. L’IA filtre et accélère le travail, aide à prioriser, mais la décision opérationnelle reste de la responsabilité du technicien, qui conserve ainsi un rôle central dans la maintenance. Autrement dit, la maintenance prédictive par IA fournit des alertes et des recommandations, mais l’interprétation, elle, le choix définitif d’intervenir ainsi que le mode d’intervention restent entre les mains des techniciens et ingénieurs spécialisés.
Par rapport aux inspections traditionnelles, souvent longues, coûteuses, parfois même dangereuses, obligeant l’arrêt du système, l’IA permet de réduire considérablement la durée d’immobilisation des turbines et d’orienter les techniciens uniquement vers les zones nécessitant une intervention. La maintenance prédictive permet donc de réduire significativement les arrêts non planifiés.
Les bénéfices sont multiples : augmentation de la durée de vie des composants du système (qui ne sont remplacés que lorsque nécessaire), diminution des coûts de maintenance, amélioration de la disponibilité globale du parc éolien.
De nombreux acteurs industriels proposent déjà des services opérationnels. SkySpecs (ouvre un nouvel onglet), Aerones (ouvre un nouvel onglet) ou encore Flyability (ouvre un nouvel onglet) automatisent l’inspection par drone et fournissent des pipelines d’analyse d’images alimentés par des modèles d’IA pour localiser les défauts et prioriser les interventions. Les rapports industriels et études sectorielles estiment qu’une inspection par Computer Vision ne requiert qu’une trentaine de minutes, contre près de deux heures pour une inspection classique (ouvre un nouvel onglet), laquelle implique par ailleurs l’arrêt obligatoire de la turbine pour des raisons de sécurité.
L’IA, levier d’une exploitation optimisée contre les problèmes de sillage
Dans un parc de plusieurs dizaines voire centaines de turbines, les effets de sillage peuvent réduire significativement la production totale d’électricité et accélérer l’usure des équipements. L’optimisation de la disposition des éoliennes devient donc une préoccupation prioritaire.
Contre le sillage, l’intelligence artificielle intervient à deux niveaux :
En phase de conception, pour simuler différents scénarios d’implantation et identifier la configuration spatiale optimale en termes de production énergétique. Des algorithmes d’optimisation testent des milliers de dispositions possibles en tenant compte des vitesses et directions dominantes du vent sur le site, de leur évolution au fil du temps, de la variabilité saisonnière, des caractéristiques environnementales (collines, forêts, bâtiments et villages avoisinants…), des contraintes physiques (distances minimales de sécurité entre éoliennes) ainsi que des considérations économiques (coûts d’installation). Ces approches permettent d’améliorer le rendement global d’un parc avant même son installation.
En phase d’exploitation, l’intelligence artificielle pilote l’orientation et l’angle des pales de manière coordonnée entre plusieurs turbines. Par exemple, une éolienne en première ligne peut volontairement s’orienter légèrement désaxée du flux optimal afin d’améliorer la productivité énergétique des éoliennes situées derrière. Ce pilotage collectif permet de réduire les pertes dues aux sillages et d’augmenter la production totale du parc, particulièrement dans le cas des parcs offshore où les rangées d’éoliennes sont longues et régulièrement exposées à ce phénomène. Des études et expérimentations récentes montrent que ces stratégies de contrôle assistées par IA peuvent entraîner des gains en production énergétique considérables. C’est le cas de WindESCo (ouvre un nouvel onglet) qui a mis en place le pilotage collectif (wake steering) des éoliennes. Son logiciel Swarm a été déployé sur le parc Milford I & II dans l’Utah (États-Unis), qui compte 165 turbines pour une puissance totale d’environ 300 MW. Ce projet, lancé fin 2022, est l’un des premiers exemples à grande échelle où cette technologie a été déployée pour un parc déjà en service. Les résultats montrent une hausse de la production annuelle d’électricité de +2,7 %.
L’IA générative comme allié du quotidien des techniciens de maintenance
L’arrivée des modèles d’IA générative optimise d’avantage l’Asset Performance Management. Au-delà des « alertes techniques », les plateformes proposent désormais une interface conversationnelle aux techniciens. Ces derniers ont alors la possibilité de discuter directement en langage naturel avec un agent IA qui leur explique les diagnostics au cas par cas et leur propose une suite d’actions adaptée au diagnostic étudié ainsi qu’au contexte du site.
L’agent IA guide le technicien, mais ce dernier reste acteur : il peut corriger ou ajuster les recommandations faites par l’agent en fonction de son expérience et de sa connaissance du site. Cette interaction bidirectionnelle permet d’adapter l’intervention au contexte réel et de renforcer la pertinence des actions. Le retour d’expérience de l’agent IA est alimenté en continu par les interactions entre le technicien et le système. Progressivement, ce retour d’expérience améliore la précision des alertes, la pertinence des diagnostics et la capacité de l’IA à guider efficacement les techniciens.
Concrètement, dans le cas d’une anomalie au générateur par exemple, l’intervention guidée se déroulerait comme l’indique le schéma suivant.
Sillage
Le sillage est le vent ralenti et plus turbulent qui se forme derrière une éolienne après le passage de l’air entre les pales. Ce vent tourbillonnant constitue une “traînée” dont la vitesse est réduite. Ainsi, une éolienne placée juste derrière recevra moins d’énergie mécanique, et produira donc moins d’électricité.
L’IA au service des agents de maintenance
Etape successive de la détection à la résolution d’une anomalie de maintenance dans une chaîne de traitement assistée par IA
L’agent IA peut aussi rendre le pilotage de parc, en particulier la gestion des sillages, beaucoup plus ergonomique pour les responsables d’exploitation. Plutôt que de lancer en temps réel des ajustements automatiques issus d’analyses techniques faites par intelligence artificielle, l’agent présente au responsable d’exploitation des scénarios :
- Conditions météo probable.
- Orientation recommandée par nacelle.
- Productivité attendue.
L’opérateur peut alors aller plus loin et demander des scénarios personnalisés en langage naturel : « Quel gain si j’applique +2° sur la rangée nord aujourd’hui ? ». L’agent simule rapidement et affiche l’impact attendu.
En ce qui concerne la maintenance, les bénéfices sont concrets et mesurables : baisse du temps moyen de réparation, accélération du diagnostic, meilleure priorisation, meilleure traçabilité des décisions. Pour la gestion des sillages, l’avantage est d’articuler données, simulation et arbitrage humain en quelques dialogues. L’interaction entre l’agent humain et le SI passe par le langage naturel.
Pour une IA qui crée de la valeur, la maîtrise des fondations data est un prérequis
La pertinence d’un système IA repose sur la qualité des données qu’il exploite. La structuration, la fiabilité et l’accessibilité des informations collectées sur les éoliennes conditionnent directement la performance de l’IA dans la détection d’anomalies ainsi que la pertinence des plans d’action et des recommandations de l’agent.
Sur le plan technique, ce genre de dispositif IA combine généralement plusieurs éléments clés.
- Une couche d’accès aux données, qui centralise toutes les sources pertinentes : capteurs SCADA, lidars, historiques de maintenance, images et vidéos issues de drones, ainsi que les manuels et documents techniques
- Une plateforme Data pour centraliser les données et les rendre accessibles à différents systèmes d’IA de façon simplifiée
- Des modèles de Data Science qui vont exploiter les données remontées pour générer des prédictions
- Un LLM, capable de transformer ces données en recommandations compréhensibles en langage naturel.
- Un mécanisme RAG (Retrieval-Augmented Generation) pour alimenter les réponses LLM d’éléments provenant de sources documentaires métier fiables, limitant ainsi le risque d’erreurs dans les recommandations générées.
Ces briques sont souvent complétées par des interfaces Homme-Machine IHM, permettant au technicien d’interagir avec l’IA et de recevoir des instructions claires et contextualisées directement sur le terrain.
Sur le plan organisationnel, l’implémentation d’une telle intelligence artificielle ne peut aboutir sans une gouvernance solide des données. Il est indispensable que les données collectées soient fiables, complètes et régulièrement mises à jour :
- Les données clés doivent être sous la responsabilité de Data owners qui doivent s’assurer d’appliquer une démarche QDD rigoureuse et maitriser les sources de vérité.
- Les équipes Data, Data engineer en particulier, doivent s’assurer de construire les bons pipelines de données à partir de ces sources de vérité afin de s’assurer que la bonne information est accessible pour l’ensemble des usages Data et IA.
- La traçabilité des décisions est également cruciale, chaque action suggérée par l’IA, chaque ajustement effectué par le technicien, ainsi que les validations ou corrections, doivent être archivés pour capitaliser sur le retour d’expérience.
- L’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur doivent adopter des standards communs pour la structuration et le formatage des informations. Sans ces standards, les risques d’erreurs qu’elles soient humaines ou IA sont démultipliés.
Nos convictions sur le sujet
La maîtrise de ses données est un prérequis à la réussite des déploiements de solutions d’optimisation par l’IA, d’autant plus lorsqu’on cherche à mettre à l’échelle. La donnée, quand elle est mal maîtrisée, devient rapidement le talon d’Achille des projets IA et explique le plus souvent, l’échec des tentatives d’industrialisation de PoC pourtant réussis. C’est donc là le principal enjeu.
Il est par ailleurs crucial de définir dès le départ un périmètre clair et de mettre en place une gouvernance adaptée autour des données concernées. Les approches trop ambitieuses, qui visent à structurer l’ensemble des données de l’entreprise avant même de chercher à en tirer de la valeur, échouent fréquemment, les métiers n’y trouvent pas leur compte finissent par décrocher. Un projet Data ou IA doit avant tout répondre à un besoin métier, et s’inscrire dans une démarche agile, en avançant progressivement périmètre par périmètre, pour générer de la valeur concrète et mesurable.