Insight

Nucléaire civil 2025 : une Europe fragmentée en quête de souveraineté énergétique

Publié le 3 novembre 2025

  • Énergie & Utilities
  • Transition écologique et sociétale
Nuclear faktory image

En bref

  • A la veille de la 6ème édition de la World Nuclear Exhibition (WNE), qui se tiendra du 4 au 6 novembre prochains à Paris, Wavestone a souhaité dresser un panorama 2025 de l’Europe du nucléaire civil, au regard des défis de la crise climatique et énergétique actuelle.
  • En 2025, 23 pays européens investissent dans le nucléaire civil ; même si le débat reste prégnant dans certains pays, le nucléaire est désormais considéré comme une réponse solide du mix électrique à construire
  • Le nucléaire s’impose comme un levier vital de souveraineté, notamment pour l’Europe de l’Est. Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il devient urgent de trouver des solutions pour stabiliser les prix de l’énergie.
  • Les SMR deviennent un levier stratégique commun

Entre 2006 et 2023, la production nucléaire européenne a chuté de 32 %, représentant en 2024 moins de 25 % de la production d’électricité de l’UE. Pourtant, 2025 s’impose comme une année charnière. Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la recherche de souveraineté énergétique se globalise et de nombreux pays, guidés par le besoin de stabiliser les prix réinterrogent l’option nucléaire comme un pilier stratégique de leur mix électrique.
Le mouvement est déjà visible à l’échelle mondiale : 417 réacteurs nucléaires sont aujourd’hui opérationnels dans 31 pays, auxquels s’ajoutent 62 réacteurs en construction. Le nucléaire représente environ 9 % de l’électricité mondiale et reste, après l’hydroélectricité, la deuxième source d’électricité bas carbone. L’Europe, elle, compte une centaine de réacteurs en activité mais fait face à un paysage fragmenté.

  • Europe de l’Ouest, leader du nucléaire civil et moteur de la transition énergétique
  • Europe centrale, l’heure du renouveau, entre transition énergétique et révolution réglementaire
  • Europe du Nord, l’innovation nucléaire au service de la décarbonation
  • Europe de l’Est, le nucléaire civil, pilier de la souveraineté énergétique
  • La péninsule ibérique et l’Autriche, éternels réfractaires

Derrière les annonces d’investissements – la Commission européenne estime à plus de 240 milliards d’euros d’ici 2050 les besoins pour maintenir et développer l’atome sur le continent – émerge une vraie question : les Small Modular Reactors pourraient-ils redéfinir en profondeur le rôle du nucléaire dans le mix énergétique européen ?

Le dynamisme des pays européens en matière de nucléaire civil

Carte Europe 2025 Nucléaire-Wavestone

Europe de l’Ouest : leader du nucléaire civil et moteur de la transition énergétique

Lorsqu’on évoque le nucléaire en Europe, la France s’impose comme un leader incontesté. Le Royaume-Uni de son côté possède le quatrième parc nucléaire actif le plus important du continent. La Belgique enfin, après un revirement certain en 2025, semble adopter une stratégie énergétique pragmatique.

Lorsqu’on évoque le nucléaire en Europe, la France s’impose comme un leader incontesté. Avec 57 réacteurs répartis sur 18 sites, pour une capacité installée de 63 GWe, elle dispose du plus grand parc nucléaire du continent . Cette puissance repose sur une industrie intégrée, portée par des acteurs de rang mondial comme EDF, Framatome et Orano, qui exportent leur savoir-faire dans plus de 30 pays et génèrent près de 6 milliards d’euros de retombées économiques chaque année. La filière représente environ 220 000 emplois directs et indirects, et s’appuie sur un écosystème de recherche de pointe, incarné par le CEA. À cela s’ajoute un cadre de sûreté rigoureux, reconnu à l’international, qui conforte la position de la France comme pilier de l’énergie nucléaire en Europe et acteur clé de la transition énergétique.

L’Europe centrale : l’heure du renouveau, entre transition énergétique et révolution réglementaire

Si l’Allemagne a officiellement renoncé à l’énergie nucléaire en 2023, le débat sur le nucléaire semble avoir été relancé sous l’impulsion récente d’un exécutif plus favorable à cette énergie, laissant envisager un possible retour en arrière à moyen ou long terme. L’Italie, après 10 ans d’abandon du nucléaire civil, amorce de son côté un retour prudent au nucléaire, soutenu par une volonté politique forte. Le Danemark, quant à lui après quarante ans d’interdiction, a franchi un cap symbolique en adoptant une loi autorisant des études exploratoires sur le nucléaire civil.

Depuis l’arrêt définitif de ses derniers réacteurs en avril 2023, l’Allemagne a officiellement renoncé à l’énergie nucléaire. Cette décision s’inscrit dans une politique antinucléaire de longue date, renforcée par le démantèlement progressif des infrastructures existantes.
Toutefois, le débat sur le nucléaire semble avoir été relancé sous l’impulsion récente d’un exécutif plus favorable à cette énergie. En février 2025, ce dernier a proposé un moratoire visant à suspendre le démantèlement des trois derniers réacteurs. Cette initiative intervient dans un contexte où 67 % de la population allemande se déclare favorable au nucléaire, certaines associations proposent même la remise en service d’au moins six réacteurs. Le sujet reste toutefois source de désaccords au sein du gouvernement, ce qui rend l’avenir de la filière incertain.
Sur le plan technique, relancer les réacteurs existants nécessiterait des investissements lourds, du temps, et une remobilisation de compétences dispersées. À ce titre, construire de nouveaux réacteurs apparaît comme une option plus réaliste. L’Allemagne explore également des alternatives comme les SMR, jugés plus flexibles et adaptés aux enjeux actuels.
Par ailleurs, le pays reste actif dans des domaines stratégiques du nucléaire civil (production de combustible, retraitement des déchets, et fusion nucléaire) lui permettant de conserver des compétences clés, utiles en cas de réorientation future.
En résumé, un retour du nucléaire en Allemagne reste possible à moyen ou long terme, mais il dépendra de la résolution des contraintes techniques et juridiques, ainsi que de l’évolution des équilibres politiques.

L’Europe du Nord : l’innovation nucléaire au service de la décarbonation

Alors que la Norvège commence à intégrer prudemment le nucléaire dans son mix énergétique, la Suède et la Finlande renforcent de leurs côtés plus nettement leurs capacités.

Longtemps réticente à intégrer le nucléaire dans son mix énergétique, la Norvège prend un tournant majeur en 2025. Face à l’augmentation de la demande électrique, notamment liée à la décarbonation de son industrie et l’électrification significative de certains secteurs, le pays se heurte à une limite physique. En effet, l’hydroélectricité représente plus de 90 % de la production électrique actuelle, et son potentiel se trouve aujourd’hui quasiment saturé. Le dérèglement climatique, marqué par les épisodes de sécheresse récents réduit davantage la disponibilité des ressources en eau, et accentue cette contrainte.
Dans ce contexte, le gouvernement norvégien explore de nouvelles solutions pour garantir une électricité à la fois bas-carbone et souveraine. En mai 2024, le ministère de l’Énergie a lancé une enquête publique visant à évaluer l’intégration du nucléaire dans le mix énergétique du pays. Cette étude, dont les conclusions sont attendues pour 2026, doit notamment examiner les enjeux de sécurité, de gestion des déchets et de souveraineté énergétique.
Les premières orientations de cette enquête, plutôt favorables, suscitent un intérêt croissant pour les SMR (Small Modular Reactors). Plusieurs projets pilotes sont déjà à l’étude, notamment dans les municipalités d’Aure et de Heim, où la société Norsk Kjernekraft prévoit la construction de deux réacteurs SMR pour une capacité totale de 1,5 GW. Ces réacteurs compacts et plus flexibles, contrairement aux réacteurs conventionnels, trop coûteux et longs à construire pour un pays sans filière nucléaire établie, offrent à la Norvège une solution rapide, modulable et adaptée à ses capacités industrielles.

L’Europe de l’Est : le nucléaire civil comme levier de souveraineté énergétique et de sécurité

En 2025, la Pologne se trouve parmi les rares pays européens à construire un programme nucléaire civil ex nihilo. Une réorientation soutenue par une opinion publique largement favorable. La Roumanie et la République tchèque doivent de leur côté transformer leur modèle hérité pour répondre à des enjeux nouveaux.

En 2025, la Pologne se trouve parmi les rares pays européens à construire un programme nucléaire civil ex nihilo. Cette réorientation soutenue par une opinion publique largement favorable (plus de 90 % d’adhésion) est dictée par une double urgence.

D’une part, le pays doit réduire ses émissions pour respecter ses engagements climatiques. En effet, la Pologne est aujourd’hui dépendante à 66 % du charbon pour sa production électrique. Et d’autre part, sécuriser sa souveraineté énergétique dans un environnement géopolitique instable. Cette volonté s’est notamment affirmée après l’invasion de l’Ukraine en 2022, qui a marqué une rupture brutale dans les relations énergétiques entre le Russie et la Pologne. En 2021, 81 % du gaz importé par la Pologne provenait de Russie, principalement via le gazoduc Yamal, qui traverse la Biélorussie et la Pologne. Cet approvisionnement a été complètement interrompu en 2022, poussant le pays à revoir son modèle énergétique.
L’objectif que se donne la Pologne est d’installer entre 6 et 9 GW de capacité nucléaire d’ici 2043, dans le cadre du plan PEP40. A cet horizon, le nucléaire devrait représenter environ 16 % de la production nationale d’électricité du pays. Le projet phare de cette initiative est la construction de la première centrale nucléaire commerciale du pays. Ce chantier représente le plus grand investissement énergétique de l’histoire polonaise, financé à plus de 28% par des aides publiques, et des garanties d’État couvrant 70 % des coûts restants.

En parallèle, la Pologne se positionne également comme un acteur majeur du nucléaire modulaire avec un programme de 24 Small Modular Reactors répartis sur six sites industriels. Ces réacteurs compacts, de type BWRX-300, développés dans une logique de construction en série, doivent être opérationnels dès 2030 et fournir une énergie décarbonée et locale pour l’industrie, le chauffage urbain et les zones isolées. Le projet est entré dans une phase avancée de préparation avec la finalisation de la gouvernance et la mise en place d’une structure de pilotage de la construction. Toutefois, il convient de rappeler qu’à ce jour, aucun SMR n’est encore en exploitation en Europe. La Pologne dispose néanmoins de tous les atouts pour se retrouver au premier plan du déploiement de cette nouvelle génération de réacteurs.

Les orientations définies par la Pologne, illustrent une stratégie claire, celle de faire du nucléaire un pilier de sa souveraineté énergétique et, à terme, de puissance stratégique, le pays ayant même exprimé son intérêt pour le programme nucléaire partagé de l’OTAN.

La péninsule ibérique et l’Autriche : les éternels réfractaires

Si l’Espagne débat du rythme de sa sortie du nucléaire, le Portugal poursuit une stratégie 100 % renouvelable, tout en cherchant à sécuriser son approvisionnement. L’Autriche maintient également depuis 1978 un consensus politique et sociétal fort contre le nucléaire civil, préférant investir dans les énergies renouvelables.

La péninsule ibérique illustre deux approches distinctes du nucléaire civil, tout en partageant des enjeux énergétiques communs.

L’Espagne, engagée depuis 2019 dans un plan de sortie du nucléaire (PNIEC), maintient l’objectif d’un arrêt complet d’ici 2035. Toutefois, face à l’intermittence des énergies renouvelables et à l’absence de solutions de stockage suffisantes, le black-out d’avril 2025 a ravivé les débats. De plus en plus de voix appellent à prolonger la durée de vie des centrales, non pour annuler la sortie, mais pour ajuster son calendrier.

Le Portugal, de son côté, reste sans projet nucléaire et s’appuie sur un mix électrique très majoritairement renouvelable (71%). La baisse des importations d’énergies fossiles et le déclassement de son réacteur de recherche inactif depuis 2019 confirment cette orientation. Néanmoins, le pays explore des solutions de pilotage du réseau, notamment via des interconnexions avec la France, pour renforcer la stabilité de son système électrique.

Ainsi, si l’Espagne débat du rythme de sa sortie du nucléaire, le Portugal poursuit une stratégie 100 % renouvelable, tout en cherchant à sécuriser son approvisionnement. Les deux pays partagent une même préoccupation : garantir la fiabilité du réseau dans un contexte de transition énergétique sans avoir recours au nucléaire.

Réinventer l’Europe du nucléaire civil : l’avènement des SMR

Loin d’un modèle uniforme, l’Europe voit émerger une pluralité de trajectoires vis-à-vis du nucléaire. Comme détaillé précédemment, cela passe par la relance industrielle, la modernisation, ou encore, la construction ex nihilo. Même les pays historiquement opposés, comme la Belgique ou l’Allemagne, réévaluent leurs choix à la lumière des nouveaux défis énergétiques.

Dans ce contexte les Small Modular Reactors gagnent du terrain dans les stratégies énergétiques européennes. Cette technologie plus flexible et plus rapide à déployer rend le nucléaire plus adapté aux enjeux contemporains. Elle permet de sortir d’une logique centralisée, lourde et coûteuse, pour explorer des usages plus ciblés et agiles. Ainsi, des pays sans filière historique, comme la Norvège ou la Pologne, peuvent envisager une intégration progressive du nucléaire, tandis que États plus avancés, comme la Finlande ou la Suède, y voit des solutions pour diversifier leurs usages vers le chauffage urbain et la couverture des zones isolées.

En résumé, les SMR pourraient redéfinir le rôle du nucléaire dans le mix énergétique européen, en s’intégrant plus facilement aux réseaux locaux et en compensant l’intermittence des énergies renouvelables. Cependant, à l’heure actuelle l’Europe est en retard face à l’avancement nord-américain et asiatique. Le Canada a déjà lancé la construction du premier SMR commercial à Darlington, avec un modèle standardisé (BWRX-300) prévu pour être répliqué en série. Les États-Unis misent sur le même design, tandis que la Chine, de son côté, a mis en service son premier SMR à gaz (HTR-PM) et prépare une montée en puissance industrielle. Pour autant, l’Europe ne se retrouve pas isolée car elle bénéficie d’une coopération technologique avec ses partenaires nord-américains. En témoigne le partenariat entre la Roumanie et NuScale Power, soutenu par les États-Unis. Ce projet illustre une dynamique concrète de collaboration internationale à travers partage d’expertise et l’adoption de standards communs.

Cette publication a été réalisée avec l’aide de Bianca REDNIC et Nathan BRIERE. Nos remerciements également à Sophie DE MASSOL et François DE TORSIAC.

 

Auteurs

  • LE-MINTIER-Emmanuel

    Emmanuel Le Mintier

    Senior Consultant – France, Paris

    Wavestone

    LinkedIn
  • Romain Lecomte

    Romain Lecomte

    Associate Partner – France, Paris

    Wavestone

    LinkedIn
  • Clément Le Roy

    Partner – France, Paris

    Wavestone

    LinkedIn