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État des lieux 2024 du marché de l’IA générative en entreprise

Publié le 25 septembre 2024

  • Data & Intelligence artificielle

Une version plus courte de cet article a été publiée sur Le Journal Du Net, un média français.

 

L’année 2024 marque une accélération inédite du marché de l’intelligence artificielle (IA) générative en entreprise. Cette poussée, soutenue par des investissements colossaux de la part des géants technologiques – Microsoft, Google, Meta, Amazon et Apple en tête – a propulsé l’IA générative au cœur des stratégies d’innovation. Selon les estimations récentes de Bloomberg, ce marché pourrait atteindre 1 300 milliards de dollars d’ici 2032. Mais au-delà des chiffres, comment se décline concrètement cette frénésie technologique au sein des entreprises ?

Un point sur le marché de l’IA générative

Une course effrénée à l’innovation, à coup de milliards

Les sommes investies par les acteurs du marché de l’IA générative se concentrent principalement sur deux axes : la recherche et développement (R&D) et l’infrastructure. Microsoft, par exemple, a engagé plus de 10 milliards de dollars dans OpenAI depuis 2019 pour maintenir son avance dans le domaine des grands modèles de langage (LLM en anglais – Large Language Models) comme GPT-4, désormais intégré dans Microsoft 365 via Copilot. Google, quant à lui, continue de développer son propre modèle Gemini, tout en explorant des collaborations avec des entreprises telles qu’Anthropic.

L’infrastructure, notamment l’acquisition de GPU (Graphics Processing Unit), reste également un enjeu central, car colonne vertébrale des LLM. NVIDIA, leader incontesté du marché des GPU, a vu sa capitalisation boursière franchir la barre des 1 000 milliards de dollars en 2023, portée par une demande exponentielle en matériel dédié à l’IA de la part des acteurs qui façonnent le marché.

 

Une diversification des modèles de langage et des partenariats stratégiques pour répondre aux défis du Go-to-Market

Si les grands modèles de langage comme GPT-4.5 ou Claude 3 continuent de dominer le marché, une diversification notable est en cours. Les modèles spécialisés, conçus pour des tâches spécifiques, gagnent en popularité. Par exemple, Google a lancé des versions allégées de ses modèles Gemini, plus adaptées aux besoins particuliers de certaines industries, rendant ainsi ces technologies plus accessibles aux entreprises de taille moyenne. De plus, des acteurs comme Meta explorent des modèles axés sur des fonctions sociales et interactives, tandis que d’autres entreprises se concentrent sur des applications dans les domaines de la santé, de la finance, et de l’éducation.

Le marché est également animé par une multiplication des partenariats stratégiques. Microsoft et Apple collaborent étroitement avec OpenAI pour intégrer l’IA dans leurs écosystèmes respectifs, optimisant ainsi les performances et les capacités de leurs plateformes. Par ailleurs, Google et Amazon ont renforcé leurs alliances avec Anthropic, une startup prometteuse. Ces partenariats permettent non seulement d’accélérer l’innovation, mais aussi de créer des solutions plus ciblées, capables de répondre aux besoins variés des entreprises, des gouvernements et des utilisateurs finaux. Enfin, des collaborations intersectorielles émergent, où des entreprises traditionnelles s’associent à des leaders de l’IA pour développer des applications qui transforment des industries entières, comme l’automobile, la logistique et les médias.

 

Une bulle prête à éclater ?

Mais cette course à l’innovation n’est pas sans risque et des analystes commencent à évoquer l’éventualité d’une bulle IA. Le ralentissement possible de la demande en GPU, les premiers signes de saturation du marché et les doutes croissants sur la rentabilité à long terme de ces technologies font planer le spectre d’une correction brutale. La stagnation voire la légère baisse du titre NVIDIA en août 2024 malgré une annonce de résultats au-delà des attentes vient abonder en ce sens.

Image générée par ChatGPT – prompt : « génère plusieurs images pour illustrer les différentes parties de cet article »

Trois lettres qui cristallisent l’avenir de l’IA en entreprise : ROI

L’acronyme « ROI » (Retour sur Investissement) est devenu le mot d’ordre de l’IA générative en entreprise. Si en 2023 et début 2024, la peur de manquer le virage technologique (le fameux « FOMO ») a poussé nombre d’entreprises à adopter l’IA générative à la hâte, cette rentrée de septembre marque un retour à la raison. Désormais, les dirigeants d’entreprises, conscients des investissements massifs que ces technologies impliquent, se concentrent sur la recherche de cas d’usage qui offrent un ROI tangible et justifiable.

 

Productivité individuelle et automatisation des tâches : il n’y a plus de débat !

L’un des secteurs où l’IA générative tient le plus de promesses à date est l’amélioration de la productivité des employés. Sur le marché français, des géants comme TotalEnergies, Danone, et Amadeus ont commencé à déployer à grande échelle des outils comme Copilot for M365. Ces outils, qui s’intègrent dans les flux de travail quotidiens, permettent de gagner un temps précieux en automatisant des tâches répétitives, en assistant à la rédaction de documents ou d’emails, ou encore en proposant des synthèses d’informations complexes. Selon McKinsey, les entreprises utilisant ces outils pourraient augmenter la productivité de leurs employés de 20 à 30 % en 2025.

Ce gain de productivité se traduit par un temps libéré que les équipes peuvent réinvestir dans des activités stratégiques, augmentant ainsi l’atteinte de leurs ambitions et objectifs. Par exemple, dans le département des Ressources Humaines, l’IA générative permet d’automatiser la rédaction de fiches de poste ou la synthèse des parcours de recrutement, ce qui non seulement réduit les coûts opérationnels, mais améliore également la qualité des processus, créant un double bénéfice pour l’entreprise.

En conclusion, malgré un coût non négligeable de la solution, nous constatons bien un ROI positif : par transitivité.

 

L’IA Générative au cœur des métiers : un ROI à sécuriser

Au-delà des gains de productivité, l’IA générative tente de pénétrer les processus « cœur de métier » des entreprises. Ces applications, souvent explorées à travers des proof of concepts (PoC), doivent impérativement démontrer un ROI convaincant pour être déployées à plus grande échelle.

De belles histoires commencent cependant à voir le jour. Une entreprise mondiale spécialisée dans la gestion des déchets a utilisé l’IA générative pour optimiser la détection et le tri automatique des bouteilles dans ses centres de recyclage : l’IA a généré des millions d’images de bouteilles compressées de différentes manières, intégrées ensuite à l’algorithme de tri, ce qui a permis d’augmenter le taux de détection de façon extrêmement significative. De son côté, un constructeur automobile international utilise l’IA générative pour traduire automatiquement ses manuels utilisateurs, dégageant des économies colossales en termes de coût de traduction.

Cependant, ces projets doivent surmonter plusieurs obstacles.

Les risques liés aux « hallucinations » génératives de l’IA se manifestent dans divers domaines, compromettant le ROI envisagé. En médecine, des diagnostics erronés générés par l’IA pourraient mettre en danger les patients et exposer les institutions à des risques juridiques. De même, dans la rédaction de contenu automatisée, des informations incorrectes pourraient nuire à la crédibilité de l’entreprise et nécessiter des rectifications coûteuses.

D’autres facteurs peuvent influer le ROI à la baisse : des coûts élevés de mise en œuvre et de maintenance, des problèmes éthiques ou légaux liés à des contenus inappropriés, la dépendance à la qualité des données, la complexité d’intégration avec les systèmes existants, la résistance des utilisateurs à adopter la technologie, ainsi que les défis liés à la sécurité des données et au manque de transparence des modèles. Chacun de ces aspects peut compromettre l’efficacité et les bénéfices attendus, rendant la gestion rigoureuse de ces risques capitale pour maximiser le ROI.

Au-delà du ROI, un défi écologique et social

Si l’IA générative peut être source de rentabilité pour les entreprises, elle n’en demeure pas moins au cœur de débats sur les enjeux écologiques et sociaux qu’elle suscite.

L’IA générative et le défi environnemental

La montée en puissance de ces technologies repose en grande partie sur des infrastructures énergivores, indispensables à l’entraînement de modèles tels que GPT ou Gemini. Pour exemple en 2023, Google a vu ses émissions de gaz à effet de serre atteindre 14,3 millions de tonnes de CO2, soit une augmentation de 48 % par rapport à 2019, son année de référence. Dans son dernier rapport environnemental, le géant de la recherche en ligne a déclaré « A mesure que nous intégrons l’IA dans nos produits, la réduction des émissions pourrait s’avérer difficile ».

Face à cette réalité, les entreprises sont confrontées à une exigence impérieuse : concilier innovation technologique et responsabilité environnementale. Cette tension est d’autant plus forte pour les entreprises soucieuses de respecter des chartes environnementales strictes, imposées tant en interne que par leurs clients et partenaires. L’adoption de l’IA générative ne se limite plus à un simple calcul de retour sur investissement : elle engage les entreprises dans une démarche plus large, où performance technologique et soutenabilité doivent cohabiter harmonieusement. Les clients, de plus en plus sensibilisés aux questions environnementales, exigent désormais des preuves concrètes d’engagements durables. En réponse, certaines entreprises privilégient les prestataires capables de démontrer une réelle empreinte écologique réduite, que ce soit par le recours à des centres de données écologiques ou par le développement de modèles optimisés pour une consommation énergétique plus faible.

L’IA générative et l’avenir du travail : entre opportunités et menaces

Sur le plan social, l’essor de l’automatisation par l’IA générative pose la question de l’avenir du travail. Si ces technologies permettent d’optimiser certains processus, elles menacent également de rendre obsolètes un grand nombre de métiers, exacerbant ainsi les risques de précarisation. Par exemple, les métiers de la saisie de données, traditionnellement occupés par des travailleurs peu qualifiés, sont aujourd’hui fortement menacés par l’automatisation. De même les IA conversationnelles remplacent progressivement les agents dans les centres d’appel, réduisant la demande pour ce type d’emploi. Enfin, dans le secteur financier, l’IA générative commence à automatiser des tâches complexes telles que l’analyse financière ou la gestion comptable.

Cependant, cette transition vers une automatisation généralisée ne pourra réellement s’opérer que si les IA génératives parviennent à atteindre un niveau de performance équivalent, voire supérieur, à celui des humains. La confiance dans ces technologies est cruciale : si le travail automatisé n’est pas aussi fiable, précis, ou créatif que celui effectué par un humain, l’acceptation de l’IA par les entreprises et le grand public restera limitée. C’est pourquoi la supervision humaine reste essentielle à date. Les collaborateurs devront être formés pour travailler en tandem avec l’IA, en ajustant et supervisant la qualité des livrables générés. Enfin, il est indispensable de s’assurer que ces systèmes d’IA fonctionnent de manière transparente et éthique, sans biais ni erreurs qui pourraient avoir des conséquences graves.

Face à ces défis, il est impératif que la transition vers l’automatisation soit gérée de manière responsable. La formation continue et la reconversion professionnelle doivent être des priorités absolues pour éviter des tensions au sein des entreprises et une défiance croissante des employés envers des technologies perçues comme déshumanisantes. Ignorer ces dimensions sociales et éthiques serait prendre le risque de voir émerger une société plus inégalitaire et fragmentée, où les bénéfices de l’automatisation ne seraient pas répartis équitablement.

Conclusion

En conclusion, les gains de productivité et le potentiel d’innovation de l’IA générative sont désormais indéniables. Ils s’accompagnent cependant de défis considérables pour s’inscrire durablement dans les stratégies des entreprises. La clé du succès réside dans une approche équilibrée où la performance économique doit impérativement être alignée sur la performance technologique, les pratiques éthiques, écologiques, et socialement responsables. Seules les entreprises capables de maîtriser cette complexité pourront véritablement tirer parti de l’IA générative de manière pérenne et soutenable.

  • Julien Floch

    Associate Partner – France, Paris

    Wavestone

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