Tribune publiée sur le site Les Echos le 24 mars 2023

« Avec ChatGPT, on n’est proche d’une prise de contrôle par l’IA », « il supprime les tâches pénibles », « il va diviser par deux mes coûts marketing », « il réussit même son mastère de droit ! ».

Alors, révolution ou nouveau Watson ?

La (sur)promesse d’IBM, qui après avoir entrainé une IA pour gagner au Jeopardy en 2011, assurait pouvoir soigner le cancer (diagnostic par analyse d’image), réparer les avions (maintenance prédictive) et réenchanter l’expérience client (chatbot). Bien qu’intéressant, Watson n’a pas rencontré le succès promis souvent en raison d’une difficulté à le nourrir de données suffisamment qualifiées.

Sans sous-estimer la puissance de l’outil d’OpenAI, essayons de mesurer l’impact réel de cette technologie sur les organisations.

ChatGPT ne répond pas à la majorité des besoins IA des entreprise !

ChatGPT tire sa puissance d’une interface simple et accessible… mais surtout des gigantesques bases de données publiques, utilisées pour entrainer un réseau de neurones apprenant, qui lui confèrent une connaissance apparente, un vocabulaire et une grammaire quasi parfaits (à l’instar du cerveau d’un enfant qui utilise son entourage pour apprendre à parler).

Mais les principaux domaines d’usage actuels de l’IA en entreprise comme l’hyperpersonnalisation de la relation client, l’amélioration de la chaine logistique, l’attraction et la fidélisation des collaborateurs… s’appuient majoritairement sur des données internes clients, produits, RH qui ne seront jamais dans les bases publiques de ChatGPT.

Par ailleurs, nombre d’entreprises cherchent aujourd’hui à se singulariser en mettant l’IA au service de leurs différenciants clés comme l’engagement clients, l’humain au centre, l’innovation ou l’expertise. Or, par construction, ChatGPT est l’inverse de la singularité puisqu’il propose la réponse la plus probable basée sur de grands volumes de données publiques et proposera donc une sorte de proposition moyenne.

Cette nouvelle guerre de l’IA constitue pour autant un vrai virage

Pourquoi Microsoft investit-il plus de 10 milliards de dollars dans OpenAI ? Pourquoi tant d’annonces autour des ripostes de Google (Bard), Amazon (avec Hugging Face), Baidu (avec Ernie) ?

C’est que ces IA génératives capables de générer du texte (son et image) de façon intelligible, représentent bel et bien des promesses de premier ordre.

D’abord, la recherche web, qui a fait de Google et Baidu les grands gagnants de la publicité en ligne. Le plus gros enjeu est là et justifie l’investissement de Microsoft dans OpenAI pour ressusciter Bing et contester la suprématie de Google. Cette guerre du Search constituera un moteur fort d’investissements en IA dans les années à venir et générera des artefacts utiles pour le monde de l’IA.

Elles impacteront aussi le travail de bureau (compte-rendu automatisés, traduction instantanée, réponse mail préformulée). C’est l’autre motivation de Microsoft pour renforcer son avance sur les environnements collaboratifs en dopant ses outils à l’IA.

Entraînées sur des données internes qualifiées plutôt que sur le « fourre-tout » du web, elles pourront aussi alléger des processus chronophages (traitement de mails client, veille marché, support informatique, …).

Enfin, elles auront des impacts plus forts dans les industries créatives, le journalisme, les professions juridiques, la santé car ce sont des domaines où la donnée publique existe de façon massive.

Une bonne et une mauvaise nouvelle pour les entreprises et pour l’Europe…

Cet engouement autour de ChatGPT et des IA Génératives est une bonne nouvelle pour remobiliser les dirigeants sur leurs stratégies data/IA et potentiellement répondre à certains cas d’usages sélectionnés…les autres cas d’usages pouvant s’appuyer sur des IA plus simples encore sous-exploitées en entreprise.

En revanche ces technologies, mauvaises élèves en termes de souveraineté, de frugalité, de propriété intellectuelle et de transparence (OpenAI n’ayant plus d’Open que le nom) induisent de nouveaux risques tel que fuites de données, biais, plagiat, dépendance qu’il faudra surveiller.

Enfin, peut-être le plus préoccupant pour l’Europe, cet avènement des IA Génératives risque d’accentuer le fossé béant entre les géants américains et chinois disposant des infrastructures de stockage et de traitement massifs pour faire tourner ces modèles et le reste du monde qui devra faire avec…ou moins bien faire.