Une décennie de développements technologiques

Le 5 décembre 2023, le Club Les Echos Débats, Transformation Digitale en partenariat avec Wavestone et DocuSign, recevait Julien Largilliere, Chief Technology Officer à VEOLIA, Maxime Havez, Chief Data Officer au Crédit Mutuel Arkéa et Guillaume Avrin, Coordonnateur national pour l’Intelligence Artificielle au sein de la Direction Générale des Entreprises pour échanger sur le thème « IA : Enjeux et perspectives ». Ce débat était animé par Charlie Perrault, Cheffe du service start-up aux Echos.

Chadi Hantouche, Partner chez Wavestone a introduit le débat, en rappelant que le sujet de l’Intelligence Artificielle (IA) n’est pas nouveau. En effet, la volonté de répliquer le fonctionnement du cerveau humain existe depuis les années 1950. Les évolutions technologiques ont permis des avancées significatives dans ce domaine au cours de la décennie passée. En particulier, l’IA dite « générative » est, depuis fin 2022, de plus en plus utilisée dans la sphère privée, et arrive à grands pas dans la sphère professionnelle. La demande autour de l’IA générative croît dans les entreprises, avec un marché prévu de 7 milliards d’euros d’ici 2030.

L’écosystème d’IA générative est particulièrement dynamique en France, où Wavestone a identifié plus de 140 start-ups dont la proposition de valeur repose essentiellement sur cette technologie. Il s’agit majoritairement de sociétés créées il y a moins de 3 ans, optant souvent pour un positionnement de niche.

L’utilisation de l’IA générative en entreprise est explorée dans divers domaines tels que la relation client, l’efficacité opérationnelle, la créativité et l’amélioration des processus internes. Ces usages rencontrent des défis majeurs tels que la qualité des données, la cybersécurité, la confiance dans les résultats, la protection des données personnelles, l’éthique, la responsabilité sociale et environnementale, la consommation énergétique mais aussi la propriété intellectuelle. En effet, la question de l’appartenance des contenus générés par de l’IA se pose de plus en plus, sans réponse claire à ce jour.

Face à toutes ces promesses d’usage, les entreprises tentent d’intégrer des outils d’intelligence au sein de leurs organisations respectives. Pour ce faire, trois étapes-clés sont à considérer : l’identification des cas d’usage, la vérification de la faisabilité, et enfin s’assurer de la possibilité d’industrialiser ces outils à l’échelle.

Quelques chiffres

  • Fondé en 1911 avec l’Office central des œuvres mutuelles agricoles du Finistère
  • Bancassurance coopératif et mutualiste en France
  • 2100 caisses coopératives et 11 170 collaborateurs.
  • Résultat net de 551 millions d’euros en 2022
  • Fondé il y a 170 ans
  • Entreprise Multinationale française spécialisée dans la gestion du cycle de l’eau, gestion et valorisation des déchets et gestion de l’énergie
  • 106 filiales et 220 000 collaborateurs.
  • Chiffre d’affaires de près de 43 milliards d’euros en 2022

L’IA : Quels usages en font les entreprises ?

Les organisations profitent de l’émergence de nouveaux outils d’Intelligence Artificielle et les adoptent sur des cas d’usages variés.

Julien Largilliere, souligne que Veolia a progressé à travers les étapes de l’analytique, de l’analytique avancée, du machine learning, et du deep learning pour le traitement des données massives liées à la gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie. Aujourd’hui l’IA leur permet de travailler sur des cas d’usage concrets, tels que la supervision, la maintenance prédictive et la catégorisation intelligente des déchets, qui sont déjà en production sur près de 10 000 sites.

Au Crédit Mutuel Arkéa, des projets ont émergé, couvrant la détection de fraude, la lutte contre le blanchiment d’argent et l’amélioration de l’expérience client. L’accent est mis sur la nécessité continue d’expérimenter, avec des dizaines de cas d’usage en cours de développement, notamment sur les enjeux liés à la collecte des données extra-financières.

Quel est le rôle de l’Etat dans la coordination de l’intelligence artificielle ? et quel est le rôle du coordinateur ?

Guillaume Avrin, Coordonnateur national pour l’Intelligence Artificielle, explique qu’il a trois missions principales :

  • La première est le pilotage du budget de 1,5 milliards d’euros, alloué dans le cadre du programme France 2030, et visant à subventionner la croissance des entreprises, notamment par des investissements en capital. Le succès de cette mission dépend de l’articulation efficace des missions, soutenant la stratégie de croissance de l’écosystème. Cela englobe le développement technologique de l’IA, son intégration et son déploiement dans les entreprises et la société.
  • La deuxième mission concerne la coordination interministérielle, assurant la cohérence des actions publiques et la communication entre les ministères. Des comités de pilotage et stratégiques, réunissant les principaux ministères liés à l’IA, suivent les orientations stratégiques de l’État chaque mois.
  • Enfin, la troisième mission consiste à animer et favoriser les relations pour créer un effet réseau au sein de l’écosystème. Guillaume Avrin souligne l’importance de cet effet réseau, comparable à celui observé dans la Silicon Valley, favorisant les échanges de talents et les collaborations entre entreprises. Il considère que, bien que la perte de talents puisse être perçue négativement au niveau de l’entreprise, elle est extrêmement positive à l’échelle de l’écosystème, favorisant le partage d’idées et la création d’offres communes.

La stratégie nationale pour l’IA a été lancée en 2018, avec une première phrase dotée d’un budget de 85 milliards d’euros, et ayant pour objectif de structurer l’écosystème de la recherche et développement en France. Elle en est actuellement à sa phase 2, débutée démarrée mi-2022, qui a pour objectif la diffusion de l’IA dans l’économie.

Comment les entreprises ont elle réagit à l’arrivée de ChatGPT ?

L’introduction de ChatGPT chez Veolia a suscité un effet remarquable et enthousiaste. Reconnaissant les avantages potentiels, l’entreprise a rapidement identifié la nécessité de mettre en place un cadre pour anticiper d’éventuelles dérives de l’utilisation de ChatGPT en entreprise. Le choix fait par Veolia est de développer rapidement son propre outil d’IA générative et de proposer une alternative sécurisée, dédiée, avec la garantie de prévenir les fuites de données et d’éviter l’enrichissement du modèle public par les données partagées par les employés. Cet outil est aujourd’hui utilisable par un grand nombre de collaborateurs. Parallèlement, un effort considérable a été entrepris pour proposer des parcours de formation et d’acculturation des collaborateurs à l’IA générative, notamment pour en expliquer les limites et les dangers.

L’introduction de ChatGPT au sein du Crédit Mutuel a changé le paradigme : jusqu’en 2022, l’accent était mis sur la diffusion de la culture de l’innovation et la résolution de problèmes métier par l’IA. Avec l’accès de ChatGPT au grand public, les collaborateurs ont eux-mêmes commencé à identifier de nouveaux cas d’usage. Certains nécessitent l’accès à Internet, d’autres exploitent des données internes protégées. L’arrivée de l’IA générative doit s’articuler avec les chantiers antérieurs, tels que l’évolution de la plateforme Data et l’IA de confiance. Une initiative stratégique garantit un usage responsable des données clients. La question est désormais de savoir comment cette initiative évoluera avec l’IA générative. Depuis, Crédit Mutuel a annoncé la publication d’un modèle d’IA générative en open source, capable de générer des textes et des images grâce au Deep Learning.

Quelle est la position du gouvernement sur les modèles d’IA générative ?

L’État considère que l’expérimentation est un levier majeur pour diffuser l’IA dans la société et l’économie. La confiance se construit par l’expérimentation publique, notamment via des API et des outils tels que ChatGPT. Encourageant le grand public et les entreprises à expérimenter, l’État souligne l’importance de l’évaluation des avantages et des limites de ces technologies. La France, en pointe sur le sujet, participe à des initiatives européennes, investissant plus de 300 millions d’euros dans des installations d’expérimentation pour caractériser les systèmes IA. À l’échelle nationale, le “grand défi confiance” vise à développer des briques technologiques, évaluer la conformité des systèmes IA et normaliser l’IA. La stratégie nationale pour l’IA met l’accent sur un cadre de confiance, considéré comme essentiel au développement de cette technologie. Au-delà de l’évaluation des solutions, l’État souligne la nécessité de former les acteurs de la confiance, tels que les organismes de certification, juges, avocats, et sociétés d’assurance, pour assurer un déploiement sûr et rassurant de l’IA conformément à cette stratégie.

Comment avez-vous fait le choix des outils d’IA générative mis en place dans vos entreprises respectives ?

Veolia a choisi une approche pragmatique en utilisant Microsoft Azure OpenAI (versions 3.5 et 4 de GPT) pour développer son produit Veolia SecureGPT. Bien que de nouvelles solutions soient apparues depuis sur le marché, Veolia a conçu son produit de manière agnostique, permettant de se connecter à divers modèles via API. L’entreprise privilégie des solutions “Best of Breed” pour éviter de gaspiller des ressources, s’alignant sur son engagement écologique en sélectionnant les modèles les plus adaptés aux cas d’usage spécifiques.

Le groupe Crédit Mutuel a, quant à lui, adopté une approche différente en développant en open source sa propre Intelligence Artificielle générative, tout en restant ouvert aux solutions du marché. La conviction repose sur la nécessité d’une IA responsable et maîtrisée. De plus, l’évaluation de l’outil par les équipes Crédit Mutuel, grâce à des protocoles existants sur le marché, a démontré sa performance et son efficacité, mais aussi son impact énergétique réduit, conduisant à la décision de le rendre open source. Cette initiative permet de répondre aux encouragements du gouvernement à mettre en commun des solutions numériques, mais surtout permet des retours de la communauté pour enrichir et améliorer continuellement l’outil.

Quelle est la position de la France concernant la régulation de l’intelligence Artificielle, notamment via l’AI Act ?

Dans le cadre de l’AI Act, l’État explore deux grands sujets : la réglementation des modèles de fondation et la prise en compte des droits d’auteur en IA. L’objectif principal est d’établir des exigences sensées et techniquement réalisables pour ces modèles, en mettant l’accent sur les applications à haut risque d’IA. Cela implique la définition de métriques, de protocoles d’évaluation et d’environnements de test appropriés, tout en cherchant à minimiser la charge de mise en conformité pour les applications à haut risque. L’évaluation de la performance des systèmes d’IA, la temporalité du marché et l’impact environnemental sont également des considérations essentielles. L’État soutient l’usage de solutions en open source, considérant ces modèles comme des infrastructures partagées propices à la création de produits et de services au sein de l’écosystème.

Une autre dimension des discussions concerne l’impact environnemental des technologies AI et la question de l’open source. Les débats portent sur la nécessité d’une éventuelle exemption pour l’option open source et les risques existentiels associés. Le coordonnateur souligne cependant que les réglementations verticales, telles que celles sur les dispositifs médicaux, ne prévoient pas de traitement spécifique pour l’open source. Tout acteur, qu’il utilise une IA open source ou non, est tenu de se conformer à la réglementation en vigueur, soulignant ainsi l’importance de la conformité dans le domaine de l’IA.

Quels résultats avez-vous constaté en termes d'efficacité et de sécurité des données, depuis le déploiement de vos outils d’IA génératives ?

La solution Veolia SecureGPT compte aujourd’hui près de 15 000 utilisateurs récurrents parmi les collaborateurs. Les analyses réalisées montrent que les premiers cas d’usages sont souvent autour des retours d’expérience, de la traduction, et des opérations quotidiennes qui simplifient les taches des collaborateurs. La qualité des réponses données par l’IA est jugée par des êtres humains afin de s’assurer de leur exactitude.

L’entreprise met en place un dispositif pour identifier et prioriser des centaines de cas d’usage, notamment axés sur la sécurité des employés et les opérations liées aux consommateurs. L’approche consiste à charger des données spécifiques à Veolia dans leur système sécurisé, avec une démarche interne et des principes d’architecture garantissant la sécurité. Les premiers cas d’usage, tels que les contrats, les appels d’offres, les recherches documentaires et le support utilisateur, ont démontré la pertinence. En terme de sécurité, tous les cas d’usage s’appuient sur des principes d’architecture qui sont, par construction, sécurisés.

Comment Veolia arrive à mesurer la performance et les risques RSE qui sont contenus dans ses contrats ? Est-ce que l’IA peut jouer un rôle dans la traçabilité et la bonne exécution des engagements RSE qui sont pris par Veolia ?

Veolia optimise sa gestion contractuelle grâce à son outil Veolia SecureGPT. Grâce à cet outil, le groupe mesure et évalue les clauses de ses dizaines de milliers de contrats stockés dans une base interne. En effet, l’IA s’alimente de cette base, contrôle les clauses contractuelles, puis génère des rapports automatisés. Ainsi, Veolia peut identifier les manquements, informer les fournisseurs sur les mises à jour nécessaires, et automatiser le processus de manière efficace.

Quelle est la place de la France sur la scène internationale sur l’IA générative, en particulier face aux grands acteurs américains ?

Selon Guillaume Avrin, la France a une position avantageuse dans le domaine de l’IA générative, en raison de ses atouts tels que des talents en mathématiques et en ingénierie, recrutés à l’échelle mondiale, une énergie décarbonée abordable grâce au parc nucléaire développé, des compétences historiques en supercalculateurs avec des acteurs comme Atos, et une avance dans la structuration des données avec des partenaires européens. La mobilisation nationale pour fédérer des bases de données et le soutien au Langage Data Space au niveau européen renforcent la compétitivité. Toutefois, notre invité souligne que la clé du succès réside dans l’intégration de l’IA générative par les entreprises, encourageant son adoption dans les processus de production et administratifs. Il souligne l’importance de privilégier le commerce par l’IA plutôt que le commerce de l’IA.

Quels sont les impacts attendus ou constatés de la mise en place de l’IA générative française et Open Source mise en place par le groupe Crédit Mutuel Arkea sur ses métiers et ses collaborateurs ?

Le Crédit Mutuel se distingue par son engagement envers l’Open Source, partageant son modèle pour contribuer aux biens numériques communs en France. En parallèle, le groupe identifie des cas d’usage spécifiques au sein de ses entités, mettant en place un groupe de travail pour trouver des éléments communs. Par exemple, l’utilisation de l’IA Générative pour interagir différemment avec des corpus documentaires liés à des procédures ou à des contrats est explorée. L’accent est mis sur l’expérimentation pour une utilisation pertinente des outils d’IA générative, que ce soit ceux développés en interne ou en partenariat avec d’autres.

Une entreprise qui n'intègre pas l'IA dans son plan de développement dans les 3 à 5 ans peut-elle rester compétitive quel que soit son secteur d'activité ?

Julien Largilliere, CEO de groupe Veolia, estime qu’intégrer l’IA dans le plan de développement de l’entreprise est essentiel dans les prochaines années. Il souligne que nous ne connaissons encore que les prémices de l’IA et que son adoption, avec un cadre solide, apportera une valeur considérable.

Maxime Havez ajoute que l’intégration d’IA est inévitable, car elle est intégrée de facto aux outils proposés par les intégrateurs sur le marché. Il souligne l’importance de la cohérence dans le développement de l’Intelligence Artificielle (IA), en insistant sur le besoin de garanties similaires en matière d’IA de confiance, que ce soit développé en interne ou intégré via des fournisseurs dans des progiciels ou solutions SAS.

Guillaume Avrin pense, lui, que l’IA peut être appliquée à la plupart des métiers, y compris pour des cas d’usages très basiques, tel que l’envoi d’e-mails.

Comment se former à l’IA lorsqu’on est une petite PME ?

La France investit 700 millions d’euros dans la stratégie nationale pour l’IA, finançant deux principales initiatives. D’abord, un appel à manifestation d’intérêt pour les compétences et métiers d’avenir, ouvert à tous les niveaux de formation, du BTS au doctorat, y compris en formation continue. Cela permet d’impliquer divers acteurs tels que les écoles d’ingénieurs et les universités. En parallèle, le dispositif des clusters IA vise à associer la recherche et la formation d’excellence en IA, avec l’objectif d’établir 5 à 8 pôles d’excellence sur le territoire national.


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Le Club Les Echos Débats, ce sont 20 conférences par an au coeur des sujets de la nouvelle économie. Wavestone est associé aux Echos pour le Club Transformation Digitale parce que la transformation digitale est le cœur de métier de Wavestone et au Club Prospective parce qu’il est important plus que jamais de scruter le futur pour analyser, identifier les tendances et détecter les ruptures qui vont intervenir.

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