La notion de « sobriété numérique » apparaît en 2008 et repose sur l’idée que le numérique constitue une ressource critique non renouvelable, porteur de solutions pour mieux faire face au défi climatique, mais dont le propre impact environnemental doit être maîtrisé.

A l’échelle mondiale, la part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre (GES) était estimée à 3,7 % en 2018. En France, selon un rapport du Sénat publié en 2020[1], l’empreinte carbone du numérique représente à ce jour environ 2,5 % des émissions nationales de GES, et selon l’ARCEP, ce ratio pourrait atteindre 7 % en 2040. Comment agir sur ce terrain ?

La sobriété numérique : un thème transverse, fédérateur et porteur d’enjeux

Dans un contexte de renouveau démocratique, qui appelle plus que jamais les pouvoirs publics à accorder une importance centrale aux enjeux climatiques et environnementaux, sans les dissocier des préoccupations sociales (inclusion, égalité d’accès…), la sobriété numérique constitue ainsi un enjeu transverse et fédérateur pour l’Etat, qui pourrait renforcer sa légitimité et sa crédibilité en matière de responsabilité environnementale sur la scène internationale. Pour relever ce défi plusieurs mesures peuvent être menées.

Leur appropriation et leur utilisation doit être massive pour un alignement des pratiques et une comparaison objective des mesures d’impact et d’empreinte du numérique.

L’État français s’est d’ores et déjà engagé sur cette voie, notamment avec la promulgation fin 2021, de la loi REEN (Réglementation sur l’Empreinte Environnementale du Numérique). Elle place la France dans une position de précurseur et donc de « leadership » au niveau mondial, même si l’approche reste encore relativement ouverte et peu contraignante à ce stade.

Pour aller plus loin, un autre chantier de moyen terme consiste à intégrer l’éco-conception dans les processus projet. Le RGESN (référentiel général pour l’éco-conception de service numérique), publié en octobre 2021 sous l’égide de la DINUM, du MTE, de l’ADEME et de l’INR, constitue en ce sens une première base solide. Elle met à la disposition des différents acteurs d’un projet un recueil de bonnes pratiques et une liste de points clés à traiter à chaque étape du projet (expression de besoin, architecture, développement, etc.).

Pour aller plus loin, et systématiser la prise en compte de la sobriété numérique dans la transformation numérique de l’Etat, l’estimation ex ante, le suivi in itinere et l’analyse ex post de l’impact environnemental des projets numériques envisagés ou engagés devrait constituer une dimension systématique de l’analyse de la valeur des projets, comme le référentiel MAREVA 2.

L’appropriation et la généralisation de ce cadre de référence nécessiteront toutefois d’importants efforts en matière d’accompagnement et de conduite du changement.

Sa définition doit être concertée avec les principaux acteurs du secteur et doit être cohérente avec les engagements pris par la France lors de la Conférence de Paris sur le climat.

Malgré le lancement de plusieurs initiatives, le sujet reste encore peu mature au sein des administrations

Dans cette optique, une mission interministérielle « Numérique écoresponsable » (MiNumEco), co-pilotée par la DINUM et le Ministère de la Transition Ecologique (MTE), a été mise en place avec pour objectifs principaux la mesure de l’empreinte du numérique du service public, l’identification de bonnes pratiques, la création d’outils et méthodologies, et la formalisation d’objectifs et d’engagements concrets.

Si des avancées significatives doivent être soulignées, le sujet de la sobriété numérique apparaît encore relativement peu mature au sein des administrations centrales, et peu de Ministères ont véritablement initié des chantiers d’ampleur en matière de développement du « numérique responsable ».

En complément de ces dynamiques engagées par l’Etat, les collectivités territoriales se mobilisent elles-aussi. On peut par exemple citer à ce titre le plan d’actions de la Région Bretagne (qui lui a permis d’obtenir le label « Numérique Responsable » créé par l’Institut du Numérique Responsable, INR), la réalisation par le Département Loire-Atlantique d’une mesure écologique de son Système d’Information, ou encore le bilan carbone numérique réalisé par la Ville de Lyon.

Des mesures concrètes à mettre en place 

Dans le cadre de la poursuite de sa transformation numérique, l’Etat devra s’attacher à systématiser la mesure et la maîtrise de son empreinte environnementale en matière de numérique, avec la définition de trajectoires d’amélioration à court, moyen et long terme, et en se dotant d’outils de mesure et de pilotage partagés par tous.

En complément plusieurs initiatives peuvent être lancées :

Encourager l’éco-conception et l’économie circulaire (lutte contre les pratiques d’obsolescence programmée, gestion des D3E) par des pratiques volontaristes en matière d’achats responsables.

L’intégration des enjeux environnementaux et sociétaux dans les critères d’évaluation des réponses à des marchés publics se développe depuis plusieurs années. Un objectif pertinent pourrait être de systématiser ces critères d’analyse à tous les marchés publics et de tendre progressivement vers un poids de 20 % dans la notation d’ensemble des offres. Les Ministères pourront pour cela utilement s’appuyer sur le « guide pratique des achats numériques responsables » formalisé par la DINUM en 2021.

 

Agir sur les équipements utilisateurs (ordinateurs, smartphones, tablettes, écrans, impressions, etc.) qui représentent à eux-seuls près de 63 % des émissions de gaz à effet de serre liées au numérique. La crise sanitaire liée au COVID-19 a d’ailleurs constitué un inattendu accélérateur pour les agents publics en matière d’équipements leur permettant de travailler à distance. Selon les résultats de l’édition 2021 du Baromètre Numérique de l’Agent établi par la DINUM, plus de 3 agents sur 4 sont désormais en capacité de travailler à distance. Ces résultats reflètent les efforts menés par les administrations pour renouveler les postes de travail des agents en 2020 et 2021 : plus des deux tiers (70%) des répondants déclarent ainsi être équipés en ordinateurs portables (+20 pts) et plus d’un quart (28%) sont équipés de smartphones (+5 pts).

Les enjeux en matière de sobriété numérique appellent à réinterroger le niveau d’équipement des collaborateurs et des agents et à inscrire durablement un objectif d’allongement de la durée de vie des terminaux, en favorisant au maximum la possibilité de leur donner une seconde vie à la sortie de l’inventaire de l’administration. La filière D3E (déchets des équipements électriques et électroniques) ne doit être envisagée qu’en dernier ressort, pour tenir compte des limites propres aux filières de recyclage. A toutes ces étapes, les partenariats avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire ancrés dans les territoires doivent être valorisés, car ils sont souvent porteurs de solutions permettant de concilier enjeux environnementaux et sociaux de la sobriété numérique.

Intégrer la dimension environnementale dans la stratégie Cloud

Pour y parvenir, ce chantier devra veiller à consolider des infrastructures en datacenter, à intégrer des critères environnementaux dans le choix des partenaires (hébergeurs, infogérants, fournisseurs cloud…), à urbaniser le stockage des données, et à privilégier des sites d’hébergement localisés dans des pays pour lesquels l’intensité carbone de l’électricité produite reste modérée (la France bénéficie, de ce point de vue, d’un avantage comparatif considérable).

Préserver le bon équilibre entre high-tech et low-tech, en développant une offre hybride et en accompagnant les utilisateurs.

L’innovation technologique devra être menée de manière raisonnée en tenant compte des apports des nouvelles technologiques en matière de nouveaux cas d’usage mais en tenant également compte des impacts environnementaux qu’elles génèrent. La question du bon usage de la blockchain dans les services publics, pour des pays où la confiance en l’Etat est forte, est une bonne illustration du questionnement de la réflexion à engager avant de recourir à des technologies émergentes.

Au-delà des évolutions déjà engagées, le chemin vers une transformation numérique de l’Etat responsable en matière environnementale doit être poursuivi et généralisé à toutes les administrations qui le composent. L’acculturation et l’accompagnement de ce changement de paradigme constituent des clés essentielles pour réussir ce nouveau défi.