Le Retail : une permanente réinvention dans notre monde omnicanal

Le 15 mars 2023, Le Club Les Echos Débats Prospective, en partenariat avec Wavestone, IESEG School of Management recevait, Emmanuelle BACH-DONNARD, directrice Marque, Digital et Expérience Client chez Picard Surgelés et Hélène DE SAUGERE, Directrice Marketing Client, Digital et Communication chez Petit Bateau pour échanger autour du thème : « Le nouveau modèle du retail ».

Petit Bateau est une marque française de vêtements et sous-vêtements pour bébés, enfants et femmes, fondée en 1920. L’entreprise appartient au groupe Rocher depuis 1988, et emploie aujourd’hui 2600 personnes dans le monde. La marque, présente dans le monde entier, possède des points de distribution dans 55 pays (en Europe, Asie, Etats-Unis, et au Moyen-Orient) avec un réseau de près de 400 boutiques en France et plus de 300 points de vente dans le monde.

Créée en 1962 par Monsieur Picard, Picard Surgelés est le leader du marché du surgelé en France, avec 1090 magasins sur le territoire français. La marque est également présente dans 18 pays dans le monde, le plus souvent en format corner (implantée chez des retailers) et emploie plus de 5000 salariés. Picard est l’enseigne alimentaire préférée des Français depuis de nombreuses années. L’immense majorité des produits proposés sont des produits de la marque Picard, avec des recettes exclusives.

Xavier BAUDOUIN, associé Retail & Consumer Goods chez Wavestone, a introduit le débat en partageant quelques tendances retail. Malgré le climat d’incertitudes actuel (covid, conflits, climat), et bien que le retail est un secteur en réinvention permanente, quelques certitudes peuvent être formalisées. La première certitude est la croissance du e-commerce, qui ne cesse d’augmenter dans la part des ventes des retailers, avec 147 milliards d’euros dépensés sur Internet en France en 2022, soit une hausse de 13,8% par rapport à 2021. La seconde certitude est la difficulté d’appréhender le consommateur, dont les modes de consommation peuvent varier d’un jour à l’autre. Enfin, la troisième certitude est la montée en puissance des préoccupations et des règlementations environnementales.

Six grandes tendances de transformation du secteur du retail se dégagent par ailleurs actuellement :

  • L’hyper personnalisation: 68% des Français estiment que les programmes de fidélité peuvent être améliorés par la technologie.
  • L’enrichissement de l’expérience omnicanale: 63% des Français ont eu recours au moins une fois au Click & Collect au cours de l’année 2022.
  • Les parcours d’achats expérientiels: 50% des Français font leurs achats dans des magasins qui créent des expériences attrayantes.
  • Un commerce virtuel et immersif: 25% des consommateurs passeront au moins 1h par jour dans le Métaverse d’ici 2026.
  • Vers de nouveaux modèles de magasin: 44% des Français sont encore attachés aux conseils donnés par les vendeurs en magasin, contre 18% aux Etats-Unis. Va-t-on vers une disparition des vendeurs et des magasins interactifs ?
  • Retail for good: les consommateurs et les Etats (via la règlementation), obligent les retailers à se tourner vers des modèles plus respectueux de l’environnement. Mais les clients sont encore ambivalents, avec le ralentissement de la consommation responsable en Europe dû notamment à l’inflation (56% des consommateurs européens ne souhaitent pas payer plus cher pour consommer plus responsable). En revanche, le slow delivery est un marché à fort potentiel, avec 78% des répondants se disant prêts à attendre plus longtemps pour une livraison plus durable au même prix qu’une livraison standard.

Les enjeux court-terme du retail : le contexte actuel de l’inflation

Dans le contexte inflationniste que le monde vit en 2023, l’enjeu principal des entreprises est de maîtriser la hausse de leurs coûts et de leurs prix.

Du côté de Picard, les principales difficultés sont les pénuries de matières premières (par exemple les œufs avec la grippe aviaire qui sévit en ce moment), ainsi que l’augmentation de la facture énergétique, qui a été multipliée par deux voire trois dans le contexte de hausse des prix de l’énergie. En réponse à ces problèmes, Picard a réussi à limiter la hausse de ses prix à 13,6% (contre une hausse de 29% pour les marques de surgelés premier prix) grâce à l’adaptation de ses recettes. Concernant la facture énergétique, l’entreprise travaille avec ses fournisseurs sur des congélateurs consommant moins d’énergie, et augmente la température de ses congélateurs de quelques degrés pendant la nuit, lorsque les bacs ne sont plus ouverts en permanence.

Du côté de Petit Bateau, les principaux défis sont l’augmentation des prix du coton et de l’énergie. L’entreprise a travaillé sur un plan d’économie d’énergie, en équipant tout son parc retail de LEDs, et en mettant en place des plans de sobriété énergétique au sein de ses usines. Ce plan prévoit 20% d’économies d’énergie en 2023 par rapport à 2022. Ces mesures ont permis à Petit Bateau d’augmenter le prix de ses produits de seulement 6% en moyenne, tout en protégeant les entrées de gamme pour faire en sorte que la marque soit toujours accessible.

Les évolutions du retail et du consommateur

L’inflation pousse les consommateurs à faire des arbitrages budgétaires, ce qui implique une modification dans leurs comportements d’achat.

Hélène De Saugere

Hélène De Saugere

Directrice Marketing Client, Digital et Communication chez Petit Bateau

L’inflation arrive au moment où l’on a de grands enjeux environnementaux à adresser. Finalement on vient faire un arbitrage entre son budget, la fin du mois, et la fin du monde

Du côté de Petit Bateau, « On observe moins de fréquence d’achat mais plus de montant d’achat. » Dans ce contexte, l’offre de seconde main peut-être une opportunité pour proposer au client une offre à la fois plus vertueuse en termes environnementaux, et plus accessible en termes de prix. L’offre de seconde main a été lancée dans 22 magasins l’année dernière, et vient d’être lancée en ligne. Petit Bateau vérifie les produits rapportés, les rachète (sous forme de bons d’achat), et les revend ensuite en seconde main. « Acheter un vêtement de qualité, c’est un investissement. Qualité égal économie, et aujourd’hui, qualité devient écologie ». La véritable innovation de Petit Bateau sur le sujet de la seconde main est le fait qu’il n’y ait pas de distinction entre première et seconde main sur le site Internet : les produits sont mélangés, et les clients ont droit aux mêmes garanties sur les produits de seconde main que sur les produits neufs (échanges, remboursements, points fidélité). « C’est bien plus qu’un test, c’est un changement de business model, pour y intégrer la circularité ».

Du côté de Picard, l’enseigne a observé que « factuellement, il y a déjà des arbitrages sur l’alimentaire, alors que ce sont des biens de première nécessité ». Les consommateurs ont par exemple tendance à consommer moins de viande, car il s’agit d’un produit plus cher.

Emmanuelle Bach-Donnard

Emmanuelle Bach-Donnard

Directrice Marque, Digital et Expérience client chez Picard Surgelés

La catégorie viande est assez emblématique, puisqu’elle mixe à la fois une inflation assez notable et des enjeux de RSE et d’empreinte carbone

Concernant le bio, la consommation est en baisse sur l’ensemble du marché ces derniers mois. Cela s’explique de deux façons : ce sont des produits plus chers et les consommateurs ont pris conscience que bio n’est pas synonyme de « made in France ». On observe donc un report des consommateurs sur les produits locaux, au détriment du bio.

Une stratégie omnicanale et sans coutures

Chez Picard, un des piliers de l’expérience client est la relation client, et le challenge principal est d’arriver à recréer cette relation sur l’ensemble des parcours omnicanaux (livraison à domicile, Click & Collect et livraison express).

Le premier levier mis en place pour y arriver est l’inspiration. La moitié des ventes de Picard sont des produits bruts, il y a donc beaucoup de clients qui cuisinent ensuite. Sur le site web et sur l’application mobile Picard, 700 recettes sont disponibles à la consultation, et une bonne partie du trafic digital est composée d’internautes qui viennent chercher des recettes.

Le second levier mis en place est la création de lien via la livraison. Les 2/3 des livraisons à domicile en France sont effectuées par les équipes Picard, et ce sont souvent les mêmes chauffeurs qui font les mêmes tournées, ce qui permet de créer du lien avec les clients. Picard arrive donc à avoir un parcours digital avec un point de contact à la fin, ce qui permet de garder cette relation client privilégiée.

Le retour d’une hyper personnalisation de la fidélisation client post Covid

La collecte des données client, prérequis à la personnalisation du contenu, des promotions et des produits poussés au client, se complexifie dans la mesure où celle-ci est de plus en plus régulée. Par ailleurs, les consommateurs sont de moins en moins enclins à partager leurs données avec les marques.

« Il y a une grande ambivalence des consommateurs, car à la fois ils veulent des expériences personnalisées, et à la fois ils ne veulent plus communiquer leurs données ».

Hélène de Saugere

Le défi du programme de fidélité Petit Bateau a été de le personnaliser sans le rendre trop intrusif, car « pour instaurer une relation durable avec un client, il faut instaurer une relation de confiance, et notamment sur les données ». Petit Bateau ne revend pas les données de ses clients, qui sont seulement utilisées pour améliorer son expérience. Les clients peuvent également choisir de partager ou non certaines données, telles que l’âge de leurs enfants par exemple.

Les modèles de magasins de demain, qui concilient omnicanalité et durabilité 

Malgré l’avènement du digital, Picard a pris le parti de valoriser encore plus la relation client en magasin. Le collaborateur est au cœur du point de vente. La marque a lancé il y a 1 an un nouveau concept de magasin appelé « Bienvenue en cuisine », avec une soixantaine de magasins conçus sur ce modèle dans toute la France. En termes de design, le collaborateur est placé dans un ilot central, similaire à une cuisine, situé à l’entrée du magasin. Cela permet à la fois le retrait des commandes Click & Collect (et permet un point de contact pour les parcours digitaux), mais aussi un espace de dégustation (qui est un excellent moyen de créer un lien, un partage, une discussion autour du produit), et le pôle d’encaissement, qui constitue un point de contact très important (les caisses en self-service sont très peu utilisées par les clients Picard).

En parallèle, l’enseigne utilise de plus en plus de data pour dégager du temps à ses collaborateurs, afin qu’ils aient plus de temps disponible pour leurs clients. Les employés gagnent ainsi du temps dans la préparation de commandes grâce à la mise à disposition de prévisions, et d’outils de préparation plus efficaces.

L’impact de la digitalisation et sa prise en compte dans l’empreinte carbone des retailers

Chez Petit Bateau, le e-commerce représente 30% du chiffre d’affaires, et le transport 5 à 6% de l’empreinte carbone de l’entreprise. La marque a fait le choix de ne pas proposer la livraison express (leurs livraisons passent par Colissimo, qui s’engage à compenser son empreinte carbone) afin de limiter son impact sur le transport e-commerce.

Le gros de l’empreinte carbone de Petit Bateau est la matière : le coton utilisé pour fabriquer les vêtements. La marque a donc travaillé sur l’impact de sa consommation de matières premières, et a misé sur le coton bio pour fabriquer ses vêtements. « Le coton bio c’est 90% d’eau en moins que le coton conventionnel, donc ça a un vrai impact sur notre impact carbone ».  80% des vêtements commercialisés par Petit Bateau sont aujourd’hui en coton bio, dont 98% sur le bébé, et Petit Bateau s’est engagé à atteindre 100% au global d’ici à 2025.

Pour Petit Bateau, la diminution de l’empreinte carbone passe également par le fait de produire moins, de produire en ayant moins d’impact environnemental, et d’allonger la durée de vie des produits. « Quand on parle de produire moins, on ne parle pas de décroissance, mais de capacité à bien gérer ses stocks, ce qui est clé pour une entreprise textile ». Le process industriel a été repensé de façon à générer moins d’invendus : Petit Bateau produit une partie de sa collection avant la saison, et les produits les plus demandés par les consommateurs sont refabriqués pendant la saison, contrairement aux entreprises textiles classiques, qui produisent toute leur collection avant la saison.


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Le Club Les Echos Débats, ce sont 20 conférences par an au coeur des sujets de la nouvelle économie. Wavestone est associé aux Echos pour le Club Transformation Digitale parce que la transformation digitale est le cœur de métier de Wavestone et au Club Prospective parce qu’il est important plus que jamais de scruter le futur pour analyser, identifier les tendances et détecter les ruptures qui vont intervenir.

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