Suite à l’adoption du Clean Energy Package, l’Europe donne corps aux communautés énergétiques avec deux concepts proches : les communautés d’énergie renouvelable et les communautés énergétiques citoyennes. Elle demande aux Etats membres de soutenir le développement de ces communautés, afin de favoriser l’acceptabilité des projets, mobiliser l’épargne des ménages et apporter de la flexibilité au système énergétique. En 2021, quel est l’état des lieux des communautés énergétiques en France et en Europe ? Peuvent-elles devenir un outil de mobilisation massive des acteurs locaux dans la transition énergétique ? Tiré d’une quinzaine d’entretiens auprès de communautés et de leurs parties prenantes, cet article propose un point de vue sur les opportunités d’évolution des communautés énergétiques afin de servir au mieux la transition énergétique.

Enjeux des parties prenantes par rapport aux communautés énergétiques

La réussite de la transition énergétique passe par la mobilisation des acteurs locaux :  collectivités, entreprises et citoyens

Conformément aux Accords de Paris, l’Europe vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour effectuer la transition énergétique que requiert cet objectif, elle mise entre autres sur la forte réduction des consommations énergétiques et sur le développement massif des capacités de production d’énergies renouvelables (ENR). Si l’Europe atteint ses objectifs de production d’ENR, la France quant à elle court derrière les siens. Les projets d’énergie renouvelable se heurtent à une opposition croissante des riverains. Les incitations à la rénovation énergétique du bâti trouvent difficilement leur public, en raison notamment d’un modèle économique fragile et de la complexité du dispositif de financement. Malgré l’accélération du déploiement des véhicules électriques et de l’usage du vélo, la décarbonation des transports reste en deçà des objectifs fixés par la SNBC.

Rénovation énergétique, mobilité durable, sobriété énergétique et acceptabilité sociétale de la transition sont pour autant de puissants leviers de transition bas-carbone que collectivités, entreprises et citoyens peuvent directement activer. En outre, l’épargne des ménages évaluée à 5 000 milliards d’euros représente une manne financière considérable.

Conscients du rôle qui pourrait être le leur et désireux d’agir, des citoyens, des collectivités et des entreprises locales se font progressivement une place dans le paysage énergétique français. Des projets de production ENR à gouvernance locale et citoyenne voient le jour, de nouveaux liens de confiance se tissent, de nouveaux modèles juridiques et partenariaux émergent.

Au travers du Clean Energy Package, l’Europe souligne l’importance des communautés énergétiques pour réussir la TE 

La transition énergétique Européenne, qui se caractérise par une décentralisation croissante du système énergétique et une stratégie d’électrification des usages, est un défi de plus en plus diffus dont les opportunités (épargne mobilisable, capacités de production) doivent être exploitées et les risques (instabilité du réseau électrique, effets rebonds) maitrisés. Dans ce contexte, l’Europe a fait évoluer son cadre réglementaire pour permettre aux acteurs locaux d’y prendre part en tant qu’opérateurs de la transition énergétique sur leur territoire.

Introduites par le Clean Energy Package, les Communautés Energétiques disposent d’un champ d’activités embrassant l’ensemble des thématiques de la transition énergétique de la production à la fourniture d’énergie en passant par les services d’efficacité énergétique ou de recharge de véhicules électriques. Leur point commun : un modèle partenarial de gouvernance, souvent citoyenne, et une raison d’être axée autour d’enjeux environnementaux, économiques, sociaux ou territoriaux plutôt qu’autour de la recherche du profit. Elles se différencient en ce sens des opérateurs énergétiques historiques et des projets de production d’EnR dont le financement est parfois participatif mais la gouvernance privée.

Emergentes, les communautés énergétiques sont essentiellement centrées sur la production d’énergie renouvelable

En France comme en Europe, les communautés énergétiques prennent majoritairement la forme de coopératives de production. L’association Energie Partagée recense 213 communautés énergétiques sous forme de projets citoyens sur le territoire métropolitain, dont 80% produisent de l’électricité d’origine solaire, 13% de l’électricité d’origine éolienne et 8% de l’électricité hydraulique, de la chaleur renouvelable ou du biogaz. Elles visent l’appropriation citoyenne de l’énergie, facilitent l’acceptation des projets et contribuent au développement économique local : D’après Energie Partagée, 1€ investi dans un projet citoyen génère 2 à 3 fois plus de bénéfices pour les territoires qu’un projet privé classique.

Au-delà de la production, les communautés se développement également dans la fourniture d’énergie voire de services énergétiques autour du bâtiment et de la mobilité notamment.

Des projets à géométrie variable : différentes typologies de communautés en France et en Europe

Ce nouveau concept ne joue pas encore le rôle de catalyseur attendu   

L’impact des communautés énergétiques est à date embryonnaire : la production électrique annuelle des projets citoyens représente moins de 0.5% de la production électrique française, l’électricité ne représentant qu’un quart de la consommation énergétique finale. Ainsi, la promesse de l’énergie citoyenne en 2021 n’imprime pas suffisamment le grand public. Elle reste essentiellement portée par des cercles militants et des membres bénévoles, ce qui freine le développement des projets et leur massification.

Anne-Lorène Vernay

Anne-Lorène Vernay

Professeur associé à Grenoble Ecole de Management

Si le mouvement souhaite augmenter son impact sur la transition énergétique, il faut qu’il réfléchisse à comment convaincre plus d’acteurs à le rejoindre.

Accélérer la sortie des énergies fossiles en favorisant le changement des comportements

Dans un contexte de défiance grandissante des citoyens vis-à-vis des pouvoirs publics et grands industriels, les communautés disposent d’une opportunité de positionnement tant que tiers de confiance de la transition énergétique à l’échelle locale. Leur ancrage territorial et leur objectif d’intérêt général les légitime aux yeux des habitants, tandis que leur force de frappe bénévole leur permet d’aller au contact au plus près du terrain, là où les acteurs publics opèrent majoritairement à une maille départementale et intercommunale.

Plusieurs communautés pionnières s’engagent dans cette voie : elles conseillent et accompagnent les particuliers dans la rénovation énergétique de leurs logements, développent des services de partage de véhicules électriques, ou encore expérimentent le pilotage intelligent de l’énergie.

Illustration d'une trajectoire ambitieuse d'une communauté énergétique

La réussite des communautés passe par la convergence d'intérêts entre collectivités, acteurs privés locaux et collectifs citoyens   

Pour réussir cette évolution, les communautés énergétiques peuvent s’appuyer et s’intégrer dans un écosystème d’acteurs riche et complexe, en particulier les collectivités territoriales, leurs syndicats et agences (Agences Régionales et Locales Energie Climat, Syndicats d’Energie, Sociétés d’Economie Mixtes…) disposent de capacités de financement d’ingénierie et d’accompagnement précieuses à combiner avec l’ancrage territorial et la mobilisation locale des citoyens.

Cette convergence soulève des questions majeures dont les enjeux varient suivant les modèles de communautés : quelle gouvernance ? Quelle répartition de la valeur entre les membres ? Comment assurer cette convergence ? Sur ce dernier point, l’exemple de l’Occitanie laisse à penser que la montée en puissance des collectivités territoriales, régions et métropoles en tête s’accompagne généralement d’un développement des communautés. Les communautés de production s’appuient également sur des réseaux associatifs régionaux et locaux (Energie Partagée, CLER…) afin de faciliter la réplication de leur modèle.

La largesse du cadre des communautés défini par les directives européennes génère de multiples incompréhensions et en freine l’appropriation par les acteurs. En tête de file, le risque du développement de réseaux privés et les impacts sur l’équilibre économique du réseau de distribution peuvent crisper les relations entre les communautés et les gestionnaires de réseaux, pourtant acteurs clés dans ce nouveau modèle.

Les acteurs historiques et nouveaux entrants explorent le champ des possibles avec les communautés 

Pour les fournisseurs historiques, dont l’intensité servicielle des modèles économiques va grandissante, l’apparition des communautés énergétiques génère de nouveaux gisements de valeur en aval de la chaine de valeur de l’énergie (energy management system, services de mises en relation producteurs/citoyens, etc.).  Si le potentiel économique réel de ces gisements de valeur reste à définir, les communautés favorisent en revanche la pénétration du marché par les fournisseurs d’énergie alternatifs, avec lesquels elles développent parfois des modèles intégrés, du financement à l’exploitation.

Les opérateurs de réseaux doivent composer avec l’impact sur le réseau que représente l’arrivée de ces nouvelles sources de production et l’évolution des usages. Ils impulsent des projets de R&D afin d’expérimenter les potentiels de flexibilité qu’elles peuvent apporter.

Ce qu'il faut retenir, en conclusion...

Concept large et encore émergent, les communautés énergétiques présentent un potentiel important de mobilisation des acteurs locaux dans la transition énergétique, grâce à un positionnement de tiers de confiance doté d’un ancrage local. Jusqu’ici principalement orientées sur la production d’énergie, leur capacité à s’emparer de nouveaux modèles économiques autour des changements des usages est clé, avec l’appui d’un dispositif de soutien territorial et national adapté.