Comment la France et l'Europe peuvent-elles réguler le cyberespace de manière à protéger les intérêts nationaux, tout en permettant l'essor de l'innovation et des startups ?

Le 17 avril 2023, le Club Les Echos Débats, Transformation Digitale en partenariat avec Wavestone et DocuSign recevait Jean-Noël Barrot, Ministre délégué chargé de la Transition numérique, pour échanger autour du thème « Quelle politique nationale en matière de souveraineté numérique ? », animée par Charlie Perrot, cheffe du service startup des Echos.

Le succès fracassant de la plateforme conversationnelle ChatGPT relance les débats sur l’intelligence artificielle (IA) et sur la place de la France et de l’Europe dans la course aux nouvelles technologies.

Dans cet entretien, le ministre Jean-Noël Barrot présente sa vision de la souveraineté numérique.

L'intelligence artificielle, un domaine stratégique pour la France et l'Europe

Pour Jean-Noël Barrot, il est indispensable que la France et l’Europe se dotent de leurs propres modèles d’IA, afin d’exploiter les potentialités de la technologie tout en s’affranchissant de toute dépendance vis-à-vis puissances non européennes.

  • L’IA est une technologie d’accès à la connaissance. Ainsi, ChatGPT délivre à ses utilisateurs une version représentée de la connaissance de l’humanité et se fonde sur la vision du monde de ses concepteurs. Il faut que la langue et la culture françaises puissent être représentées au travers de ces technologies ;
  • L’IA doit être utile à la société pour obtenir l’adhésion des citoyens. Plusieurs cas d’usage sont déjà connus :
    • dans le domaine de la santé : elle sert par exemple au diagnostic de cancers et a permis d’accélérer la découverte du vaccin contre le covid ;
    • pour démocratiser la connaissance: l’IA générative, telle qu’on la retrouve dans ChatGPT permet d’interagir de manière plus rapide avec le patrimoine informationnel de l’humanité ;
  • L’IA doit être « de confiance », c’est-à-dire qu’elle doit se conformer aux valeurs auxquelles sont attachés les institutions et citoyens européens : concurrence équitable, respect des libertés fondamentales et respect de la vie privée.

L'Europe, pionnière en matière de réguation dans le domaine de l'intelligence artificielle

Pour le ministre, « l’Europe est la première démocratie à avoir décidé de fixer un cadre législatif pour l’IA ». L’IA Act, en cours d’examen au Parlement européen, vise à encadrer les conditions et domaines d’utilisation et de commercialisation de l’IA. Elle pourrait notamment prévoir l’obligation de transparence sur la technologie et l’utilisation des données, l’obligation d’audit des systèmes avant leur mise sur le marché ou encore l’interdiction de certaines applications comme le scoring social.

Toutefois, Jean-Noël Barrot souligne que ces travaux législatifs ne répondent que partiellement aux nombreuses questions posées par l’IA et qu’il faudra prévoir d’autres législations dédiées aux enjeux associés :

  • La question des droits d’auteur: l’IA s’appuie sur des quantités importantes de données dont certaines ont été produites par des artistes ou des journalistes. Le ministre considère que ceux-ci doivent être rétribués quand leur création est utilisée pour créer de nouveaux contenus ou pour entraîner les algorithmes ;
  • La compatibilité entre l’entraînement de ces algorithmes et le respect des principes de protection des données personnelles, notamment le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) promulgué 5 ans avant l’arrivée des IA génératives.

Jean-Noël Barrot estime que les textes réglementaires sont attendus, bien que des associations européennes représentant des startups et des investisseurs craignent qu’un possible durcissement de la législation sur l’IA ne ralentisse son développement et son déploiement. Cependant, il estime que régulation et innovation sont compatibles :

  • Le cas des cryptoactifs démontre le savoir-faire de l’Europe quant à la régulation des activités numériques. L’Europe a su donner un cadre qui permette à la fois de créer la confiance et l’homogénéité du marché européen, de telle sorte que les acteurs américains se sont intéressés à l’Europe après la faillite de la plateforme américaine d’échange de cryptoactifs FTX ;
  • Le Digital Market Act vise à mettre fin à des pratiques déloyales et d’abus de positions dominantes, notamment celles que les géants du numérique américains avaient constituées sur le marché européen, et donc favorisera la concurrence et l’émergence d’entreprises innovantes;
  • La mise en place de « bacs à sable » réglementaires permet aux entreprises de tester leur technologie ou service innovant sans être contraintes par les règlements qui s’appliqueraient normalement, pour une durée limitée.

Des investissements privés et publics pour faire émerger les innovations de demain

Aujourd’hui, la France dispose de tous les outils pour financer les startups dans leurs premières étapes. Le ministre souligne par ailleurs que la France est aujourd’hui le pays d’Europe le plus attractif pour les capitaux étrangers.

Cependant, les fonds d’investissement pour accompagner la croissance des startups sont peu nombreux, à l’inverse des Etats-Unis. Pour répondre à cette pénurie, le ministre souligne plusieurs initiatives :

  • L’initiative Scale-up Europe, lancée en 2021, vise à faire émerger des fonds d’une taille suffisante (au-delà du milliard d’euros) pour être en capacité à participer aux levées de fonds des entreprises innovantes et en forte croissante, abondés par les Etats-membres et dont le total s’élève pour l’instant à 4 milliards d’euros ;
  • L’initiative Tibi, lancée depuis 2019 par le Ministère de l’Economie, vise à amener les assureurs français à consacrer un pourcentage de leur bilan à des fonds de capital-risque. La première édition a permis de collecter 6 milliards d’euros.
  • La préparation à l’entrée en bourse des entreprises matures (Initial Public Offering ou IPO). Bien que le marché des IPO soit en ralentissement, l’Etat mène des travaux avec les futurs émetteurs et les investisseurs institutionnels afin de préparer leur entrée en bourse. L’Etat mène également des actions sur le volet réglementaire, en donnant par exemple la capacité à émettre des actions à vote multiple compétitives, comparables aux outils existants sur la bourse américaine du NASDAQ. En outre, le ministre précise que l’introduction en bourse est beaucoup moins chère en Europe qu’aux Etats-Unis, et aussi beaucoup plus protectrice.

 Enfin, le gouvernement a annoncé qu’il voulait mobiliser 500 millions d’euros pour pousser les chercheurs à fonder leurs deeptech. Des découvertes scientifiques majeures naissent dans les laboratoires mais n’aboutissent pas nécessairement en entreprises.

Plusieurs leviers d’accélération ont été enclenchés par l’Etat pour développer la deeptech :

  • Le levier législatif, au travers de la loi PACTE (2019) offre un cadre permettant aux chercheurs de devenir entrepreneurs sans quitter le laboratoire ;
  • Le financement via le plan Deeptech de Bpifrance, est un fond d’amorçage pour les chercheurs qui souhaitent se lancer dans une aventure entrepreneuriale.

En conclusion

La souveraineté numérique repose sur un équilibre à trouver entre régulation et innovation. La souveraineté numérique repose sur un équilibre à trouver entre régulation et innovation. La régulation est nécessaire pour protéger les citoyens des risques du cyberspace, pour promouvoir une « IA de confiance » et pour garantir la concurrence au sein de l’espace économique européen face à la puissance des géants du numérique.

L’innovation, elle, repose sur la création d’un écosystème d’entreprises et de startups qui permettront à l’Europe de posséder ses propres outils afin de conserver son indépendance technologique et son influence culturelle. Enfin, le ministre souligne que l’Europe est un amplificateur de la souveraineté de la France, laquelle participe activement à la production des règlements qui régenteront le cyberespace et possède les atouts pour assurer la compétitivité de ses champions sur le marché européen.


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Le Club Les Echos Débats, ce sont 20 conférences par an au coeur des sujets de la nouvelle économie. Wavestone est associé aux Echos pour le Club Transformation Digitale parce que la transformation digitale est le cœur de métier de Wavestone et au Club Prospective parce qu’il est important plus que jamais de scruter le futur pour analyser, identifier les tendances et détecter les ruptures qui vont intervenir.

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