La couleur verte ou grise de la reprise économique post-covid est teintée de nombreuses incertitudes. Une chose est sûre cependant, au cours de l’Histoire, les crises ont été des catalyseurs de changement. L’après crise-sanitaire va-t-il s’avérer propice à l’accélération de la transition vers l’économie à impact ?

Au-delà des plans de relance massifs de l’État, deux acteurs vont jouer un rôle clé dans l’orientation de la reprise : les citoyens, au travers de leurs comportements d’achat et de leur participation à la vie politique, et les entreprises, avec la relocalisation partielle de leurs activités de production et un engagement renforcé en matière de responsabilité sociétale.

La crise du Covid-19 accélère les changements de comportements des citoyens et des consommateurs

La crise sanitaire et la période de confinement ont amplifié la préoccupation environnementale des citoyens. Cette tendance sociétale de fond avait déjà connu une accélération l’été dernier lors de la période caniculaire. Interrogés par des grandes ONG à donner leur avis sur « le monde d’après » sur la plateforme de concertation citoyenne make.org, près de 300 000 français ont plébiscité un changement profond du modèle économique.

Favoriser la consommation locale et les circuits de proximité, relocaliser certains secteurs d’activités stratégiques en France et en Europe, se diriger vers une agriculture alternative : telles sont les idées arrivées en tête de liste. Ces idées font directement écho aux propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, un panel représentatif de 150 français tirés au sort et qui ont planché pendant 8 mois sur la façon de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 dans un esprit de justice sociale.

Consommer de façon plus sobre et plus vertueuse, transformer profondément l’appareil de production, réinventer un système alimentaire durable et refonder les pratiques et moyens de transport individuel et collectif : les bases d’un monde plus durable sont posées.

Le baromètre Wavestone des nouvelles tendances de consommations, publié en avril 2020, le confirme : tous les critères d’achats responsables sont en croissance. Ainsi, 40% des français peuvent renoncer à un achat si le produit n’est pas fabriqué localement ou s’il n’est pas éco-responsable. Dans le sillage de la fameuse application Yuka qui note les produits alimentaires, de nombreuses applications ont vu le jour et aident désormais les consommateurs à choisir les produits durables, éthiques, naturels et bio.

Enfin, les enquêtes d’opinions et les résultats des élections municipales le montrent clairement : longtemps relégué en fin de liste, l’environnement devient désormais une préoccupation majeure au coude à coude avec la sécurité, et l’écologie est désormais intégrée dans la majorité des programmes politiques.

L’essor de la participation citoyenne est une deuxième tendance sociétale profonde qui s’accélère et favorise la relance vers un modèle durable. L’épisode très sensible des « gilets jaunes » a mis le doigt sur l’échec de transformations décidées sans concertation large. La transition écologique bouleverse les modes de vie et demande des efforts et des changements importants, qui seront d’autant plus consentis que les citoyens sont acteurs de ces changements et les estiment justes. La bonne nouvelle ?

Les signaux indiquant une implication croissante des citoyens se multiplient : croissance du financement participatif notamment sur le développement des énergies renouvelables (+56% de fonds collectés en 2019, d’après le baromètre de FPF et Mazars), émergence des plateformes de concertation citoyenne, succès de l’exercice inédit de la Convention Citoyenne pour le Climat, multiplication des listes citoyennes lors des municipales 2020, développement des budgets participatifs au sein des collectivités… les exemples foisonnent.

La reprise économique post-covid sera responsable, ou ne sera pas

La crise du Covid-19 a entraîné une accélération de deux tendances de fond dans le monde de l’entreprise : la régionalisation des Supply Chain, et la prise en compte des enjeux sociétaux et environnementaux dans la stratégie d’entreprise.

La régionalisation des Supply Chain n’est pas un phénomène nouveau. Après une augmentation continue pendant 30 ans des flux intercontinentaux, les chiffres indiquent depuis 5 ans environ un léger ralentissement de la mondialisation, et une augmentation des flux intracontinentaux. Nous traversons depuis plusieurs années une phase de transition, d’une globalisation à une multi-régionalisation.

La crise du Covid-19 renforce cette tendance de fond, notamment pour les biens de première nécessité. L’enjeu de résilience des chaînes d’approvisionnement a été notamment mis en lumière par les ruptures de stocks de masques. La question de la dépendance à la Chine a également été soulevée, avec un enjeu prégnant de souveraineté nationale sur la sécurité sanitaire et alimentaire.

Cependant, la relocalisation des activités industrielles ne va pas se faire en un claquement de doigts. C’est un processus qui s’opère sur le temps long. En effet, il ne s’agit pas de déplacer simplement une usine, mais de reconstituer des filières industrielles avec tout l’écosystème de sous-traitants, de fournisseurs de matières premières, de composants, et de services, indispensables à la compétitivité globale du secteur.

La prise en compte des enjeux sociétaux et environnementaux dans la stratégie d’entreprise est quant à elle un phénomène assez récent, notamment d’un point de vue juridique. La loi PACTE de mai 2019 valorise les politiques RSE dans les entreprises à travers deux mesures impératives, relatives à l’objet social d’une société. Elle stipule que l’intérêt social devient un impératif de bonne gestion des sociétés, et que dans leur gestion, les sociétés doivent prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité. De manière facultative cette-fois, la loi PACTE permet aux entreprises d’insérer une raison d’être dans leurs statut. Cette raison d’être définit la finalité de l’entreprise, et sa contribution à la société.

La crise du Covid-19 a renforcé les attentes RSE des parties prenantes de l’entreprise : maintien de l’emploi, respect de l’environnement, ancrage local ou territorial, résilience face aux crises, sobriété carbone, sens au travail, … Les aspirations des salariés, des actionnaires, et des clients convergent souvent vers une transition pour une économie à impact. Ainsi, Danone a annoncé au sortir du confinement fin mai par le biais de son PDG Emmanuel Faber son souhait de devenir une entreprise à mission. Cela implique de mettre la RSE au cœur de la stratégie d’entreprise, et d’inscrire dans la gouvernance des objectifs sociaux et environnementaux, avec un comité de mission nommé par le Conseil d’Administration et audité par un tiers.

Plus largement, de très nombreux acteurs économiques ont proposé au sortir de la crise une relance verte, avec une transformation de l’économie sur le temps long. En témoigne par exemple le collectif “Nous Sommes Demain”, qui réunit 400 000 entrepreneurs représentant trois millions d’emplois, et appelle à un rebond de l’économie française par la transformation sociale et écologique.

En témoigne également la tribune de 92 grandes entreprises françaises qui souhaitent faire de la relance économique un accélérateur de la transition écologique. « Nous croyons qu’il est aujourd’hui possible de faire de ces moyens financiers un accélérateur d’une relance verte et inclusive. Les plans de relance à venir constituent autant d’occasions pour que les investissements nécessaires confortent les trajectoires de transformation ». Les signataires (Renault, Michelin, SNCF, EDF, Kering, Axa, …) placent la rénovation énergétique des bâtiments, le développement de la mobilité décarbonée ainsi que l’expansion des énergies renouvelables comme priorités.

L’épidémie mondiale du Covid-19 a largement questionné le modèle économique du secteur pétrolier. Au pire de l’effondrement de la demande en or noir, en avril, des prix négatifs du baril ont été enregistrés sur le marché américain. Un épiphénomène qui n’a fait que mettre en exergue une fragilité structurelle des entreprises pétrolières face à la transition énergétique.

Lors des Assemblées générales d’avril et mai, les dirigeants des majors pétrolières ont été interrogés sur l’avenir du pétrole, sur les renouvelables, et sur les politiques climat. Deux visions s’opposent clairement.

Confortés par l’administration Trump, les géants américains soutiennent le modèle traditionnel en misant sur une part prépondérante des énergies fossiles à l’avenir.

À l’inverse, les pétroliers européens prévoient d’accélérer leurs transformations pour devenir des acteurs majeurs de la transition énergétique. En pleine crise coronavirus, et sous la pression des actionnaires, le PDG de Total Patrick Pouyanné a effectivement annoncé en avril une nouvelle stratégie climatique pour le groupe, avec l’engagement d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

Total fait le pari que le marché qui va croître n’est pas celui du pétrole, mais celui de l’électricité. Ainsi, en 2017, Total réalisait son chiffre d’affaires à 66 % grâce au pétrole, 33 % avec le gaz naturel, et moins de 1 % avec l’électricité. En 2040, le groupe prévoit que le pétrole représentera 20 % de son CA, le gaz naturel et le gaz vert 40 %, et l’électricité verte 40 %.

Le secteur de l’automobile a subi de plein fouet la crise du Covid-19, avec notamment un recul de 88% des immatriculations de voitures neuves en avril.

Le plan de relance de l’industrie automobile française présenté par Emmanuel Macron fin mai place la transition vers l’électrique au cœur de la relance. Il comprend 8 milliards d’euros d’aides au secteur et lui donne un cap : faire de la France le premier producteur de voitures électriques en Europe, en portant la production à plus d’un million de véhicules électriques et hybrides par an d’ici à 2025.

Un objectif appuyé par une série de mesures : augmentation de la prime accordée aux voitures électriques, élargissement des conditions d’attribution de la prime à la conversion, et déblocage de fonds conséquents pour accompagner la filière et l’innovation. En contrepartie, Renault et PSA ont pris des engagements pour relocaliser leur production en France.

Pour réussir ce passage à l’échelle, la bataille autour de la batterie sera clé. D’où le projet industriel franco-allemand d’Airbus des batteries, censé contrer la mainmise asiatique. Dans une allocution à l’Institut Montaigne en juin, Jean-Dominique Senard, président de Renault, explique que « la crise du Covid va avoir un effet d’accélérateur sur le développement du véhicule électrique et hybride » ; et souligne : « d’ici 2030, ces véhicules feront plus de la moitié des ventes en France. »

Cependant, la contraction des marges pourrait bien inciter certains constructeurs à retarder les coûteux investissements verts et le lancement des nouveaux modèles plus propres. C’est pourquoi l’Association des Constructeurs Européens d’Automobiles (ACEA) a adressé à la présidente de la Commission européenne un courrier demandant un report des obligations de réduction de leurs émissions.

De plus, la question de l’emploi se pose. Il faut 7 à 8 fois moins de personnes pour construire un moteur électrique qu’un moteur thermique. Il y a moins de pièces dans un véhicule électrique (et paradoxalement, un prix relativement élevé à cause de la batterie). Le passage à marche forcée vers l’électrification du véhicule va donc avoir des conséquences sociales majeures. Dès lors, les industriels et l’État ont une responsabilité collective pour anticiper ces bouleversements. L’enjeu n’est pas seulement de réussir les investissements techniques, mais aussi d’investir massivement pour former et accompagner les personnes

Conclusion

À la lecture de ce cours article, d’aucuns pourraient faire le reproche d’une analyse partielle et naïve. L’impératif de reprise rapide d’activité, la mise en place de stratégies industrielles court-termistes pour restaurer les marges, l’enjeu de préservation de l’emploi, le faible prix du baril incitant à une relance carbonée… Beaucoup de vents contraires soufflent en défaveur d’une relance verte et inclusive. Pour autant, la consommation responsable, la participation citoyenne et l’engagement sociétal des entreprises sont des tendances de fond qui vont s’amplifier dans la durée.

Consommer mieux, agir pour l’intérêt général, produire localement, et redonner du sens à l’entreprise sont des aspirations de plus en plus partagées. Ces aspirations s’inscrivent dans une mutation globale de la société depuis une dizaine d’années et se renforcent depuis la crise du Covid, qui s’est avérée un révélateur des failles du système économique. Le président Emmanuel Macron s’est exprimé lors de son allocution du 29 juin en faveur de 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat, et a annoncé vouloir “placer l’écologie au cœur du modèle économique” : un signal supplémentaire de l’inflexion des politiques publiques en faveur d’une économie plus durable et plus résiliente.