Comment conjuguer décarbonation du transport & enjeux environnementaux et sociaux ?

Le 12 octobre 2023, Le Club Les Echos Débats Prospective, en partenariat avec Wavestone, IESEG School of Management et UFE Union Française de l’électricité recevait, Claire Martin, de la société CMA CGM, Cléa Martinet, de la société Renault Group et Jean-Christophe DRAI de la société Volocopter, pour échanger autour du thème : « Décarbonation et sustainability : la complexe équation », animé par Dominique Seux de la Rédaction Les Echos.

Avec un quart des émissions de CO2 lié à la combustion d’énergie au niveau mondial, le secteur du transport arrive à la 2ème place des secteurs les plus émissifs, juste derrière la production d’énergie. Ses émissions sont en constante augmentation, faisant du secteur l’un des leviers clés pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris visant à contenir la hausse des températures bien en-dessous de 2 degrés tout en poursuivant les efforts pour la maintenir à 1,5 degré. Les grands constructeurs automobiles mondiaux sont engagés depuis plusieurs années dans des stratégies « net zéro » et les 175 Etats membres de l’Organisation Maritime Internationale viennent de s’engager en juillet 2023 à réduire à zéro les émissions nettes de gaz à effet de serre provenant des transports maritimes internationaux vers 2050 avec un objectif de réduction des émissions de -20% d’ici à 2030 par rapport à 2008.

Pour tenir ces engagements, la mobilisation de tous les leviers est nécessaire, qu’ils soient technologiques ou d’usage. Certaines solutions, parfois érigées en remèdes miracles, rencontrent des limites et posent d’autres enjeux de durabilité.

Les acteurs économiques privilégient la transition énergétique pour se décarboner

Une grande partie des efforts se concentre sur l’innovation technologique au service de la décarbonation de l’énergie utilisée par les acteurs du transport.

Le transport routier représentant près des trois quarts des émissions du secteur, cette transition énergétique repose en grande partie sur l’électrification des véhicules. A titre d’exemple, les véhicules 100 % électriques sont passés en 3 ans d’environ 2 % à près de 14 % des ventes de véhicules de Renault. De 2022 à 2025, il est prévu que près de la moitié des lancements des modèles de la gamme Renault soient électriques et 90 % électrifiés. Volocopter compte également sur l’électrification avec une mise en exploitation de ses taxis volants électriques prévue dès 2024 lors des Jeux Olympiques de Paris.

En complément de l’électrification, les acteurs du transport misent sur les carburants alternatifs. Parmi eux, les e-carburants, ou carburants de synthèse suscitent un fort intérêt, tous modes de transports confondus. Dans le transport maritime où l’électrification n’est pas une option pour la plupart des routes, la CMA CGM déploie un panel de solutions (biogaz, gaz naturel liquéfié, méthanol) comme l’illustre l’investissement récent de 15 milliards d’euros dans des navires de seconde génération permettant l’utilisation de l’ensemble de ces carburants. L’entreprise étudie en parallèle des solutions moins matures, comme les réacteurs nucléaires, les moteurs à l’ammoniac ou encore l’assistance vélique pour faire baisser les émissions liées à la consommation d’énergie.

La complexité de la transition énergétique des transports

Le premier frein à cette transition énergétique porte sur les minerais qui composent les batteries électriques. L’exploitation de ces minerais soulève des préoccupations liées à la disponibilité des ressources en eau, les conditions de travail dans les mines, la pollution des sols et de l’eau, la dépendance vis-à-vis des pays producteurs, etc. Les acteurs sont conscients de ces limites : Volocopter et Renault donnent une place importante au recyclage en investissant massivement dans la recherche associée. La nouvelle Scénic ne sera d’ailleurs pas uniquement électrifiée mais aussi recyclée et recyclable.

Pour les carburants alternatifs, la faible maturité du marché pose la question des conflits d’usages et de l’intégration de l’ensemble de la chaîne de valeur : dans un contexte de production contrainte, quel(s) mode(s) de transport prioriser ? Comment repenser les infrastructures pour permettre l’acheminement vers les terminaux portuaires et le stockage de ces nouveaux carburants ?

La transition de la mobilité soulève également la question de l’accessibilité. Le coût de revient d’un véhicule électrique par rapport à un véhicule thermique est en moyenne 60 % plus élevé chez Renault. Cette différence est due à un approvisionnement en matières premières et en composants plus volatil et à la complexité du moteur. Renault et Volocopter ont affirmé leur ambition en termes de réduction des coûts : Renault prévoit une réduction de 40 % des coûts sur les véhicules de la gamme Ampère au cours des 4 prochaines années et Volocopter a pour objectif d’atteindre la compétitivité tarifaire d’Uber X vers 2030. La CMA CGM souligne que, malgré les investissements nécessaires pour rendre le transport maritime plus respectueux de l’environnement, le coût du fret demeure proportionnellement bas par rapport au prix d’acquisition des produits (1 euro pour un produit valant 150 euros). Même si ce coût venait à doubler, sa part resterait relativement modeste et ce surcoût serait réparti entre les différents acteurs de la chaîne de valeur, tels que les actionnaires, les fournisseurs, les armateurs et les consommateurs.

La collaboration et le changement des usages sont incontournables pour réussir la décarbonation des transports

Face à ces difficultés, les acteurs sont unanimes sur la nécessité d’embarquer et de coordonner l’ensemble des acteurs pour réussir la décarbonation des transports.

L’enjeu est d’abord sur l’intégration de la chaîne de valeur. La décarbonation ne se fera pas sans une collaboration étroite avec les énergéticiens. La CMA CGM a par exemple créé le fonds PULSE dédié à la décarbonation et doté d’1,5 milliard d’euros, dont l’un des piliers consiste à soutenir la production de carburants bas carbone. Concernant l’enjeu de la disponibilité de l’électricité décarbonée, Renault ambitionne de devenir un acteur de la régulation du réseau grâce à son nouveau chargeur bidirectionnel embarqué dans la future R5 électrique et en proposant des services de fourniture d’électricité renouvelable. De la même façon, l’intégration doit être plus forte avec les acteurs du recyclage pour créer une filière européenne de matières recyclées pour les batteries.

Les pouvoirs publics jouent également un rôle clé. D’abord, pour contraindre à l’échelle internationale les acteurs à se décarboner et limiter ainsi les effets de distorsion de concurrence. De plus, leur action est essentielle pour orienter les consommateurs vers des solutions moins carbonées (taxe carbone, aides à l’achat comme le bonus écologique pour les véhicules).

Enfin, le client occupe une place centrale dans la décarbonation des transports. La décarbonation des transports ne sera réalisable que si le transport décarboné est accessible à tous. La sobriété et l’accessibilité peuvent aller de pair, comme en témoigne la réduction des coûts des voitures électriques dotées de batteries de plus petite taille. L’engagement des clients est également incontournable dans l’évolution des pratiques. La CMA CGM peut réduire la vitesse de ses navires à condition que ses clients acceptent cette nouvelle contrainte et se tient prête à accompagner ses clients s’ils amorcent en amont une régionalisation de leurs échanges. L’entreprise forme d’ailleurs son équipe commerciale à sensibiliser ses clients. Renault accompagne également ses clients dans le changement de leurs habitudes en leur fournissant des technologies intelligentes pour moduler leur vitesse et leur style de conduite, permettant ainsi d’optimiser la consommation d’énergie. L’entreprise encourage par ailleurs d’autres modes de mobilité et développe l’autopartage.

La transition énergétique du secteur des transports est impérative pour répondre aux objectifs “zéro émissions nettes” fixés par les acteurs de cette industrie. Cependant, cette transition repose sur des technologies qui s’accompagnent d’autres enjeux de durabilité qu’il convient de maîtriser. Pour prendre en compte l’ensemble de ces enjeux, la décarbonation des transports doit faire appel à tous les leviers disponibles : transition énergétique, report modal et évolution des pratiques. La mise en œuvre de ces leviers se concrétisera grâce à la mobilisation de l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse des énergéticiens, des filières de recyclage, des constructeurs, des opérateurs ou des clients.


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Le Club Les Echos Débats, ce sont 20 conférences par an au coeur des sujets de la nouvelle économie. Wavestone est associé aux Echos pour le Club Transformation Digitale parce que la transformation digitale est le cœur de métier de Wavestone et au Club Prospective parce qu’il est important plus que jamais de scruter le futur pour analyser, identifier les tendances et détecter les ruptures qui vont intervenir.

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