Pourquoi se piloter par la valeur ?

Le pilotage par la valeur est un élément essentiel à la prise de décision en entreprise.

Malheureusement, il est encore trop peu déployé. Pas surprenant quand on connait l’ampleur de la tâche et la complexité de ce sujet qui impacte fortement l’ordre établi. Voici ci-après quelques arguments pour arriver à faire bouger les lignes.

Rien se sert d'aller plus vite... dans la mauvaise direction

Les transformations agiles se concentrent trop souvent sur la recherche de gains de performance.

De nombreuses actions sont engagées pour améliorer la vélocité, la prédictibilité et avancer par des cycles vertueux d’amélioration continue.

C’est important, mais ce n’est pas l’essentiel.

L’essentiel est de s’assurer que ce qui est délivré par les équipes agiles est utile, qu’elles contribuent à des objectifs prioritaires pour l’entreprise. Il s’agit en effet d’éviter d’allouer de la capacité à faire à des sujets de second plan et d’éviter l’auto-alimentation des équipes.

Grâce au framework SAFe, certaines organisations ont déjà appris à mesurer ce delivery de valeur à l’échelle de multiples équipes / produits regroupés dans des trains. Il reste cependant généralement des axes de progrès pour :

  • Mesurer la valeur réellement délivrée de manière plus régulière. En ce sens, l’approche incrémentale (et pas uniquement itérative) prônée par l’agilité est un levier intéressant à mettre en œuvre pour systématiser la mesure à la fin de chaque sprint, ou a minima à chaque fin d’incrément ;
  • Mesurer l’apport de valeur à l’échelle d’une solution demandant la coordination de plusieurs trains ;
  • Savoir de pivoter ou faire les ajustements nécessaires si la valeur attendue n’est pas délivrée.

On aura toujours plus d'idées que de capacité à faire : apprenons à faire des choix

Il ne suffit pas de disposer d’un budget et d’un fort sponsorship métier pour qu’une demande soit traitée de manière prioritaire.

En effet, les équipes de delivery sont soumises à plusieurs contraintes :

  • Difficultés à trouver de nouvelles ressources (internes et externes) pour délivrer, ce qui limite la capacité à répondre favorablement à toutes les demandes ;
  • Besoin de stabilité pour délivrer durablement au bon niveau de qualité. Pour monter en compétences sur de nouveaux sujets ou pour atteindre le niveau de performance optimal, les équipes ont besoin de plusieurs mois. Il est contre-productif de staffer puis déstaffer une équipe au fil des projets. La mise en place d’équipes Produit stables dans le temps est donc essentielle. Il faut cependant en faire évoluer le périmètre au fil du temps et faire évoluer petit à petit les compétences de personnes attachées dans la durée à ce Produit pour s’adapter à l’évolution des besoins.
  • Enfin, une DSI qui est transverse à plusieurs métiers est elle-même comptable de la valeur qu’elle délivre à ses bénéficiaires. Elle doit pouvoir justifier de l’allocation de ses ressources sur les sujets ayant le plus d’impact pour le collectif. Et doit donc s’appliquer à elle-même les principes de pilotage par la valeur.

Dans ce contexte, les arbitrages sont inévitables. Il est donc essentiel d’apprendre à les faire.

Sans alignement sur ce qui apporte de la valeur, il n'y a pas d'autonomie possible : 1/2 décision = Bazar ²

Le développement de solutions de grande ampleur et complexes demandent une forte coordination et un bon alignement de nombreuses équipes.

Ce sont donc des environnements qui exigent clarté et simplicité dans la définition de ce qui est prioritaire, donc sur ce qui apporte de la valeur pour l’entreprise.

Or trop souvent :

  • La définition de ce qu’est la valeur n’est pas clairement posée ni partagée entre les équipes ;
  • Les choix ne sont pas faits et la gouvernance ne joue pas son rôle de renoncement. Les parties prenantes entrent dans un jeu de dupe faisant croire que les engagements seront tenus alors que les sachants savent pertinemment que ce ne pourra pas être le cas ;
  • Les choix ne sont pas suffisamment clairs et mettent les équipes de delivery face à des injonctions contradictoires. Par exemple : avoir un Produit user friendly qui propose un éventail de choix le plus vaste du marché, tout en étant frugal sur les dépenses et avec une qualité de service irréprochable. La quadrature du cercle pourra éventuellement être résolue, mais seulement après une certaine maturité du Produit.

Ces écueils mènent à 2 types de situations :

  • Le status quo : les équipes restent immobiles dans l’attente de directives claires
  • L’anarchie : chaque équipe part dans la direction qu’elle semble avoir comprise ou dans la direction qui l’arrange le plus.

Cela génère retards et perte d’efficacité. Pour ces grandes solutions complexes, l’un des défis majeurs est de garantir l’équilibre entre alignement de l’ensemble des équipes et leur autonomie. Il est donc essentiel d’être clair et aligné sur les priorités, et de garantir la coordination et la synchronisation des équipes.

Ampoules CEE

Comment se piloter par la valeur ?

Maintenant que nous savons pourquoi mettre en place le pilotage par la valeur, découvrons les pratiques à déployer en priorité et leurs facteurs clés de succès. Quelques exemples issus de retours d’expériences dans des grands comptes que nous avons accompagnés permettent d’illustrer le bénéfice de cette démarche.

Détourer les flux de valeur et ajuster le périmètre des produits

Pour piloter par la valeur, il faut tout d’abord être en mesure d’identifier ce qui amène de la valeur à l’entreprise.

Pour cela nous proposons de suivre les étapes suivantes :

Identifier les flux de valeur opérationnels métiers :

  • Les bonnes pratiques proposées par SAFe (voir article détaillé)sont une bonne source d’inspiration pour les détourer lors d’ateliers de travail. Les principaux contributeurs à ces ateliers sont les Sponsor métier, Business owner, Product Manager et Architecte d’entreprise.
  • Dès cette étape, nous recommandons de définir les indicateurs de pilotage de ce flux de valeur opérationnel. Par exemple en appliquant une approche de type OKR. Il s’agit d’identifier les 2 ou 3 indicateurs de résultat qui vont permettre de s’assurer que la valeur attendue par les utilisateurs leur est réellement livrée.

Construire les flux de valeur de développement :

  • Là aussi, SAFe sert de méthode de référence (ibid) pour identifier les Produits, compétences, applicatifs et infrastructures nécessaires pour délivrer chaque étape du flux de valeur opérationnel.
  • Une expertise est nécessaire pour prendre du recul et faire des regroupements par flux à la fois cohérents et suffisamment indépendants les uns des autres.
  • A ce niveau aussi, nous recommandons d’identifier les 2 ou 3 indicateurs de résultat de type OKR qui contribuent à l’atteinte des résultats du flux de valeur opérationnel chapeau.
  • Les principaux contributeurs de cette étape sont les architectes fonctionnels et techniques, Product Manager et / ou responsables de domaines applicatifs.

Illustration : étapes de découpage des flux de valeurs de développement 

Source : déclinaison de SAFe (scaledagileframework ©)

Comment se piloter par la valeur

Ajuster le périmètre des Produits qui contribuent aux flux de valeur de développement :

  • Il s’agit notamment de définir ou d’actualiser la vision et la stratégie des Produits qui contribuent au flux de valeur de développement. En effet, lorsqu’on redéfini les flux, on redéfini dans le même temps les enjeux, objectifs et priorités. Il faut s’assurer de répercuter ces changements à chaque niveau (flux de valeur opérationnel, puis de développement, puis Produit) pour garantir une exécution fluide.
  • Cela nécessite souvent de réactualiser les descriptions des utilisateurs cibles du Produit et leurs caractéristiques (persona), les objectifs métiers auxquels le Produit contribue et donc les indicateurs de mesure de la contribution du chaque Produit à cette valeur. Là encore, on peut décliner les OKR du flux de valeur de développement ou définir des leading indicators (qui sont des indicateurs avancés du delivery de valeur).
  • Enfin, il faut réajuster au niveau de chaque Produit : le besoin de compétences, leur dimensionnement et le sourcing nécessaires pour délivrer ces attendus.

Penser le modèle opérationnel dans son ensemble mais déployer les pratiques flux de valeur par flux de valeur

  • La vue macro globale est nécessaire pour éviter les dépendances et redondances entre flux de valeur. Pour démarrer la démarche, il est donc intéressant de poser de manière macro le modèle opérationnel global de l’entreprise. Quelques ateliers de travail de « value stream mapping » doivent permettre de poser cette 1ere vision macro qui sera affinée par la suite.
  • Les ajustements se font grâce aux retours terrains. Il est donc intéressant d’affiner la vision et de la déployer sur un 1er périmètre de flux de valeur de développement. La vie des équipes et la mesure du delivery de valeur permettra de vérifier la fluidité et l’efficacité des modes de fonctionnement. On pourra ensuite en tirer les enseignements pour le modèle global.
  • Par exemple, pour simplifier la gestion de backlog et la gouvernance, il faudra parfois scinder en 2 une équipe travaillant sur une même Produit mais qui contribuent à des delivery de plusieurs flux de valeur.
  • Pour démarrer, voici quelques recommandations sur les caractéristiques du périmètre pilote :
    • Un flux de valeur de taille « moyenne » (ex: 8 à 10-15 squads) ;
    • Ayant de forts enjeux de delivery de valeur (ex: digitalisation de processus) ;
    • Disposant d’un bon niveau de sponsorship sur la mise en place du pilotage par la valeur ;
    • Et dont les équipes connaissent les fondamentaux d’un fonctionnement agile à l’échelle.

Les flux de valeur et les Produits ainsi redéfinis vont constituer la structure opérationnelle et parfois organisationnelle du pilotage par la valeur.

Les flux de valeur et les Produits ainsi redéfinis vont constituer la structure opérationnelle et parfois organisationnelle du pilotage par la valeur.

Exemple de mise en œuvre dans une banque de detail

Le programme de digitalisation des processus bancaires de cette banque a été lancé en agile à l’échelle. Il implique la coordination de plus d’une 15 aines d’équipes Produit.

Lors du 1er incrément de delivery plusieurs difficultés sont apparues :  

  • La valeur livrée était en deçà de l’attendu
  • Les décisions n’étaient pas prises au bon endroit
  • Il y avait des contentions sur certaines équipes
  • Le delivery était retombé dans une approche projet plutôt qu’une approche Produit

Il a donc été décidé de réaliser des ateliers de détourage des flux de valeur, inspirés des pratiques SAFe. Cela a permis de :

  • Organiser les équipes dans une approche Produit et non plus projet, et ainsi responsabiliser les Product Owner sur le delivery des features de leur Produit
  • Revoir le modèle de delivery, par exemple :
    • Suppression d’une component team transverse sur des sujets d’UX pour finalement répartir la compétence dans chaque feature teams.
    • Invitation au PI planning des équipes en charge des enabler transverses dont étaient dépendantes les feature team
    • Conception d’un modèle scalable à d’autres flux métiers à venir
  • Mieux aligner les pratiques des Scrum Master par la :
    • Mise en place d’un indicateur unique de pilotage par la valeur au niveau du Programme : le niveau de priorité de chaque feature est évaluée en fonction du gain de productivité métier attendu (exprimé en ETP).
    • Mise en place la mesure de la prédictibilité pour sécuriser les dépendances entre Produits d’un même flux

Les enseignements que nous en avons tirés ont été :

  • Cet atelier est maintenant préconisé en amont du lancement de tout nouveau programme transverse à de nombreux Produits
  • Le besoin de renforcer la pluri-compétence des équipes car cela renforce la résilience des équipes sur le long terme
  • Les PI planning sont devenus des moments structurants dans le pilotage de la valeur. Ils permettent en effet de rappeler la valeur livrée lors du précédent incrément et d’évaluer celle attendue lors du prochain.

Voici quelques facteurs clés de succès pour réaliser les arbitrages par la valeur :

  • Consolider l’ensemble des initiatives dans un Portfolio Kanban et ainsi piloter l’instruction par niveau de maturité. C’est également un très bon outil de management visuel pour communiquer sur les avancées aussi bien vers les métiers, le management que les équipes de delivery.
  • Définir des critères communs d’évaluation de la valeur en tenant compte de ses différentes dimensions (entreprise, utilisateur, collaborateur, sociétale). Ce a minima au niveau d’un même flux de valeur. A la cible, cela devra être fait au niveau de l’entreprise.
  • Sur chaque initiative, définir systématiquement le / les 1ers MVP et fixer des objectifs de delivery de valeur (OKR ou leading indicators) à horizon 3 à 6 mois maximum.
  • S’assurer que le Product Manager / Sponsor défendent les objectifs de delivery de valeur dans les instances d’arbitrage et n’accorder le financement de manière ferme que le 1er Ceci permettra d’avoir le résultat des 1ers delivery de valeur avant d’engager la suite du financement.

Exemple chez l’un de nos clients grand compte :

Contexte

  • Nous avons défini le flux de valeur sur un périmètre composés de 4 Produits délivrés par une quinzaine de squads.
  • Ce périmètre a été choisi car il était en souffrance. En effet, il traitait de sujet cœurs d’activités et le rendait contributeur à nombreux flux de valeur. Les squads devaient alors participer à de nombreux trains.
  • Nous avons donc revu l’approche et défini un flux de valeur spécifique à cette activité.

Principales réalisations et bénéfices obtenus :

  • Constitution d’un Portefeuille “d’initiatives” : actualisé régulièrement et dont la priorisation était partagée avec tous les Donneurs d’ordre sous forme d’un Portfolio Kanban
  • Meilleure fluidité dans l’instruction et raffinement des nouveaux sujets : nous avons notamment dédié une part importante de la capacité à faire à cette activité
  • Le Product Manager est identifié comme le point d’entrée des nouveaux sujets. Il est maître du backlog sur ce flux de valeur.
  • Les arbitrages ont été facilités car mieux partagés et basés sur des critères d’évaluation homogènes
  • Meilleure stabilité des collaborateurs dans les squads et meilleure maîtrise des besoins de staffing.

Mettre en place les rôles et rituels pour piloter la valeur

Notre vision des facteurs clés de succès :

  • S’assurer que les priorités du backlog des équipes est aligné sur le niveau de valeur attendu. Cela permet de construire un capacity planning du flux de valeur par Produit / train et par niveau priorité et ainsi d’identifier les goulots d’étranglement et les disponibilités de capacité à faire des équipes / trains.
  • Collecter régulièrement le niveau de valeur réellement délivré : aller chercher les feedbacks auprès des utilisateurs (aussi bien qualitatifs que quantitatifs), dans les démos, lors des PI Planning, mesurer l’atteinte des OKR ou des leading indicators.
  • Mettre en place les rituels de réabitrage en fonction de la valeur réellement délivrée : revues trimestrielles pour réaffecter les budgets et réallouer les features aux Produits par priorité.

Former et s’appuyer sur les rôles clés de Solution / Product Manager et du LPM PMO office / STE pour faire tourner ces processus.

Illustration : capacity planning des Trains Produits par niveau de priorité

Conclusion

En synthèse, ce qu’il faut retenir pour mettre en place un pilotage par la valeur :

  • Se piloter par la valeur est essentiel. C’est une étape de transformation longue qu’il faut déployer dans le détail périmètre par périmètre mais en ayant pris soin de poser en amont une vision globale macro.
  • Pour se piloter par la valeur, il est nécessaire de déployer un modèle opérationnel aligné sur les flux de valeur et d’avoir défini les Produits qui y contribuent.
  • Préparer la prise de décision de financement MVP par MVP, incréments de delivery par incrément de delivery et sur la base de l’évaluation de la valeur attendue par ces delivery.
  • Mettre en place les rôles et rituels pour réarbitrer régulièrement en fonction de la valeur réellement acquise pour l’utilisateur.