Le Club Les Echos Débats Prospective, en partenariat avec Wavestone et l’IÉSEG, a récemment organisé un débat autour du thème : « Le nouveau modèle du retail » avec la participation d’Emmanuelle BACH-DONNARD (Directrice Marque, Digital et Expérience Client chez Picard Surgelés) et Hélène DE SAUGERE (Directrice Marketing Client, Digital et Communication chez Petit Bateau).

Inflation et arbitrage des consommateurs, durabilité et produits de seconde main, location ou vrac, omnicanalité… Xavier BAUDOUIN et Elodie COLIN (du cabinet de conseil Wavestone) et Nathalie DEMOULIN (Professeur de marketing à l’IÉSEG) reviennent sur les enjeux actuels pour le secteur et certains éléments évoqués lors de ce débat.

Inflation et arbitrage budgétaire des consommateurs

Dans le contexte inflationniste que le monde vit, la confiance des ménages par rapport à la situation économique reste dégradée (INSEE), elle est de 18 points inférieure à la moyenne (base 100 calculée sur la période 1987-2022). Cette inflation a aussi des conséquences sur le comportement du consommateur dans le retail. Huit consommateurs sur dix sont inquiets, chiffre peu étonnant puisque plus de 50% d’entre eux estiment avoir perdu plus de 5% de leur pouvoir d’achat au cours des derniers mois (AlixPartners, 2023). Ils limitent donc leurs dépenses dans certaines catégories de produits comme l’alimentaire (-8,3% en un an selon l’INSEE). Les consommateurs procèdent également à des arbitrages dans l’alimentaire en quantité et type de produits. D’après Emmanuelle Bach Donnard, Directrice Marque Digital et Expérience client chez Picard Surgelés, les recettes ont été revisitées pour rendre les produits accessibles en intégrant des ingrédients moins chers.

inflation

La consommation d’énergie a elle aussi reculé de 4,8% (INSEE). La consommation de biens manufacturés comme les biens durables, l’habillement et le textile reste assez stable. Le consommateur limite donc sa consommation dans les catégories de produits où l’inflation est la plus importante. Par contre, il n’est pas prêt à sacrifier la qualité des produits en faveur du prix et reste très vigilant à la qualité des produits pour l’alimentaire et les repas pris à l’extérieur.

Dans ce contexte, les produits de marque de distributeur (MDD), 30% moins chers que les marques nationales, tout en offrant un niveau de qualité tout à fait comparable, voient leur part de marché progresser pour atteindre 39,4% contre 36,9% un an plus tôt (Kantar Wordlpanel). L’offre en MDD s’est bien diversifiée pour répondre aux attentes des clients, comme par exemple via l’ajout des gammes de produits bio. Chez Picard, malgré une hausse de prix de 13,6%, l’entreprise met l’accent sur l’accessibilité de son offre en proposant 300 produits à moins de 3 euros et des plats complets à 2,4 euros. En revanche pour les biens plus durables, le prix prime sur la qualité. Par exemple, pour les vêtements, le prix est plus déterminant que la qualité pour 6 consommateurs sur 10 (AlixPartners, 2023). Selon Hélène de Saugère, Directrice Marketing Client, Digital et Communication chez Petit Bateau, face à la montée du coût du coton et de l’énergie, Petit Bateau a majoré ses prix de 6% en mettant en place un plan d’économie énergie pour limiter la hausse des coûts. En 2023, la hausse des prix devrait être limitée dans le secteur du textile.

Durabilité : seconde main, vrac, abonnement et location…

Le développement durable est au cœur des préoccupations de 90% des consommateurs (Boston Consulting Group, 2023) et, par conséquent, les enseignes se doivent d’y répondre en intégrant la durabilité à leurs activités et à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. D’ailleurs, selon Emmanuelle Bach Donnard, les enjeux du développement durable dans l’entreprise sont transversaux, font partie de tous les métiers et l’entreprise doit « mesurer la valeur économique de tous efforts et actions de développement durable en utilisant des indicateurs financiers et green ».

D’après Hélène de Saugère, chez Petit Bateau, les actions de développement durable passent, par exemple, par un ralentissement de la production afin de réduire les stocks et donc produire moins avant la saison pour fabriquer en saison selon ce que le consommateur souhaite. Dans ce secteur, la fabrication du produit détermine principalement l’empreinte carbone, le transport n’intervenant que faiblement.

Pour répondre aux attentes des clients en termes de durabilité, les enseignes de la grande distribution mettent en place des initiatives telles que la seconde main, le vrac, ou encore la location et l’abonnement.

La seconde main

Dans le contexte actuel inflationniste, la seconde main est à la rencontre de deux défis majeurs des consommateurs, à savoir préserver la planète et maintenir un pouvoir d’achat décent. Elle devient un phénomène mondial, en croissance de 22% par rapport à 2020, et représente désormais un marché de plus de 105 milliards d’euros à l’échelle de la planète (Etude Tripartie & Wavestone, 2022). En Europe, 7 personnes sur 10 ont déjà acheté des habits de seconde main (Etude Tripartie & Wavestone, 2022), et 1 personne sur 5 a déjà vendu son téléphone sur le marché de l’occasion (Etude Tripartie & Wavestone, 2022).

Ce mode de consommation permet de combattre la surconsommation et la surproduction, en donnant une seconde vie aux produits achetés. Cela réduit ainsi leur coût environnemental et social, en plus de leur prix. La seconde main permet de s’inscrire dans l’économie circulaire, indispensable pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris (maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels).

L’enjeu de la seconde main est de taille pour les enseignes car les ventes de ces produits affectent négativement celles des produits neufs. C’est pourquoi de nombreux distributeurs surfent sur cette vague. La grande distribution alimentaire (Auchan, Leclerc, etc.), les détaillants spécialisés (Kiabi, H&M, etc.), et les sites e-commerce (Zalando, La Redoute, etc.) offrent des produits de seconde main aussi bien en magasin qu’en ligne. Selon Hélène de Saugère, la seconde main chez Petit Bateau permet de consommer plus durablement ; c’est une opportunité pour la marque de proposer à ses clients une offre plus vertueuse pour la planète et plus accessible en termes de prix grâce à des produits de qualité, ces derniers pouvant avoir jusqu’à cinq vies ! Le client peut ramener ses vêtements en magasin et se voit dédommagé en bons d’achats valables sur la première et la seconde main. Les produits sont ainsi triés et vérifiés avant d’être à nouveau proposés à la vente.

L’affichage environnemental et la traçabilité

En parallèle, l’affichage environnemental, c’est-à-dire la note attribuée à l’entreprise après analyse du cycle de vie de ses produits et de son impact environnemental compte aussi dans les choix des consommateurs et des investisseurs. Les marques sont donc attendues sur leur engagement, et fournissent des efforts pour réaliser un marketing responsable, des publicités sur lieu de vente éco-conçues, ainsi que des emballages recyclables voire réutilisables. Le nouveau consommateur cherche à savoir d’où viennent les produits qu’il achète. Les enseignes doivent aujourd’hui donner un maximum d’informations sur les produits qu’elles commercialisent. La nourriture de demain doit être saine et sa production moins consommatrice pour répondre à la conscience collective de mieux consommer. Les marques mettent en place différentes stratégies, afin de répondre aux nouvelles préoccupations des consommateurs. Par exemple, Carrefour, avec IBM Food Trust assure la traçabilité des produits via la blockchain. L’enseigne peut documenter et localiser les produits à chaque étape de l’approvisionnement, et l’utilisateur a accès aux informations via un QR code.

Le vrac

Historiquement dominé par les acteurs du bio (Naturalia, BioCoop, La Vie Claire…), d’autres enseignes se lancent dans le développement du vrac pour renforcer la durabilité de leur offre. Intermarché, avec SmartVrac, propose par exemple un achat en vrac simple, hygiénique et fluide, permettant de connaitre en temps réel le montant, pour un passage en caisse instantané, avec la possibilité de retrouver toutes les informations du produit acheté. Le vrac nécessite souvent de rassurer le consommateur sur les problématiques liées à l’organisation et à l’hygiène (tant dans la manipulation des produits que dans leur conservation), mais il est ensuite facteur du développement d’une image très positive de l’enseigne, notamment sur les axes de modernité, de proximité et d’écologie. En termes d’expérience client, ce mode de consommation impose au consommateur une certaine rigueur dans son achat, car il doit avoir le réflexe de prendre avec lui des contenants avant de partir faire ses courses. Un des désavantages du vrac peut être le manque d’informations par rapport aux produits pré-emballés, qui affichent la provenance, les valeurs nutritives ou encore des recettes. Les défis que doivent relever les magasins sont donc d’arriver à compenser la perte d’emballage par une information complète, de proposer un modèle qui solutionne le problème d’organisation (en proposant des sacs en papier sur place par exemple), ou encore de rassurer le consommateur au sujet de l’hygiène des aliments. Mais le vrac a vocation à se développer, notamment boosté par la loi AGEC (Anti-Gaspillage et pour une Economie Circulaire) promulguée le 10 février 2020, qui interdit l’impression des tickets de caisse d’ici 2023, et pose l’obligation pour les grandes surfaces de plus de 400m2 de consacrer plus de 20% de leur surface de vente au vrac d’ici 2030.

L’abonnement et la location

Parmi les nouveaux modèles de consommation durables et innovants, on retrouve également le recours aux abonnements et à la location. Le principe de ces offres étant de privilégier l’usage à la possession. Décathlon propose par exemple trois abonnements différents adaptés aux besoins clients, permettant d’utiliser plus de 40.000 références : un abonnement de 20€ par mois avec un plafond de 400€ de matériel empruntable, un abonnement 40€ par mois avec un plafond de 1.000€ de matériel, et enfin un abonnement de 80€ par mois pour un plafond de 2.000€ de matériel. Les équipements sont échangeables à tout moment, permettant au client de tester facilement de nouvelles activités, et de varier au gré de ses envies. E. Leclerc propose également une formule de location de matériel sur une courte durée (une demi-journée, une journée, une soirée ou une semaine), pour différentes occasions : évènements, cuisine à partager, entretien de la maison, bricolage ou encore jardinage, le tout sans engagement sur la durée. Le matériel proposé à la location va de la friteuse à l’appareil à fondue, en passant par des enceintes et des balais vapeur. Côté abonnements, les critères de souscription principaux sont : la personnalisation de l’offre, la curiosité et la praticité. Tien Tzuo, le PDG de Zuora (entreprise qui crée et fournit un logiciel permettant aux enseignes de lancer et de gérer leurs services par abonnement), affirme : « D’un monde de produits, nous sommes en train de passer à un monde de services. Et si les abonnements explosent, c’est parce que des milliards de consommateurs digitaux préfèrent avoir accès à un service plutôt que d’être propriétaires ». La vente par abonnement permet également de faciliter la fidélisation client, mais cela demande un travail d’omnicanalité, notamment pour les entreprises qui vendent des produits physiques.

Omnicanalité et humanisation de la relation client

En France, même si les ventes hors ligne sont toujours majoritaires, l’e-commerce est en plein essor avec un chiffre d’affaires de 146,9 milliards d’euros en 2022, en hausse de 13,8% par rapport à l’année précédente (FEVAD). Les ventes en ligne des enseignes magasins surperforment avec une progression de 35% en 2022 par rapport à 2019 (FEVAD). Lors de leurs achats en ligne, de plus en plus de clients optent pour un parcours d’achat hybride incluant des points de contact tels que le site web, l’application mobile et le magasin.

Les clients s’attendent à pouvoir vivre une expérience hybride optimale, passer du mobile au site web à l’application mobile et au magasin physique. Dans ce contexte, les enseignes doivent proposer de créer une expérience « seamless », littéralement sans couture. Le client doit pouvoir passer d’un canal à l’autre sans friction et il doit retrouver la même offre sur tous les canaux, que ce soit le site de vente en ligne ou le magasin (même assortiment, prix identiques, promotions valables quel que soit le canal, même possibilité d’utiliser le programme de fidélité etc). L’expérience sans couture passe par une offre uniforme sur tous les canaux mais aussi une bonne connectivité entre les canaux (Cocco & Demoulin, 2022) ; uniforme, en assurant par exemple que les promotions soient cohérentes et les prix identiques sur tous les canaux ; connectivité du parcours d’achat, impliquant que le client puisse continuer l’expérience d’achat sur n’importe quel canal tout en utilisant les canaux de manière interchangeable pendant la phase de recherche d’information et d’achat. Le parcours d’achat est alors continu sur tous les canaux.

Toujours selon Cocco & Demoulin (2022), pour assurer une expérience d’achat sans couture, l’enseigne doit mettre en place une intégration de ses différents canaux. Parmi les éléments les plus faciles à mettre en œuvre citons ceux qui sont liés à l’uniformité sur les différents canaux comme l’alignement des communications marketing, du prix, de l’assortiment et des prix sur les différents canaux. D’autres initiatives requièrent des capacités logistiques et technologiques ainsi que des compétences humaines, qui ensemble nécessitent d’importants investissements. Citons le Click&Collect, les sites internet « responsive », c’est-à-dire optimisés pour le mobile, les kiosques installés en magasin pour permettre aux clients de vérifier la disponibilité des produits en ligne et de les commander sur le web. Il y a également la possibilité d’appeler ou de chater avec un conseiller en ligne et des conseillers en magasin bien informés et prêts à aider le client quant à l’utilisation du site web.

Le magasin joue un rôle crucial dans la stratégie digitale des enseignes. Au niveau logistique, les commandes sont préparées en magasin pour être retirées en magasin (Click&Collect) ou être livrées à domicile. Par ailleurs, chez Picard Surgelés, le magasin reste un lieu privilégié pour créer une relation avec le client, sur base de deux fondamentaux que sont l’accueil et le conseil. Cela se traduit sur le canal digital par des recettes pour inspirer le client à utiliser les produits proposés. Les chauffeurs sont des collaborateurs Picard qui assurent une humanisation de la relation client dans un parcours digital. L’initiative « Bienvenue en cuisine » permet de valoriser l’humain en magasin à l’aide d’îlots centraux où le collaborateur occupe une position primordiale. Il s’agit non seulement d’un espace de dégustation et de conseil du client mais également d’un lieu de récupération de commandes Click&Collect.

Retrouvez ICI le replay de ce Club Les Echos Débats Prospective.

Remerciement particulier à Elodie Colin de Wavestone pour la rédaction de cet article.