Cet insight fait partie d'une série d'articles écrits par Cédric BAECHER sur "La Transformation durable est-elle en marche" et initialement publiés au sein de la revue Reflets, (communauté ESSEC Alumni).

Un spectre large à considérer…

Parler du rôle de la culture dans la transformation durable impose de mettre en lumière tout le spectre du sujet. Lorsqu’on parle de culture, on pense spontanément à la langue, à la création artistique (musique, littérature, peinture…), à l’art de vivre (alimentation)…

Or la culture renvoie aussi aux différents modes de décision, de résolution des problèmes, de conception des valeurs et de la justice, de perceptions du leadership et de l’autorité, de rapports entre générations… La culture fait référence aux relations au temps, à l’espace, à l’environnement (nature, ressources…), elle interroge différentes approches et grilles de lecture de notions comme l’utilité, la prospérité.

L’occasion de partager deux anecdotes frappantes :

  • l’une en marge de la Conférence des Nations Unies « Rio+20 », lors d’un échange avec un diplomate brésilien révolté par les velléités françaises d’appliquer le concept de « bien commun » à la forêt amazonienne…
  • L’autre en marge de la COP17 de Durban, lors d’un entretien avec l’ancien président du GIEC, Rajendra Pachauri, qui soulignait la difficulté pour l’Occident et l’Orient de bien se comprendre sur le sujet de la biodiversité, puisque pour les premiers l’homme est « à part », alors que pour les seconds il fait « partie intégrante » de la biodiversité…

Il y a dans la transformation durable un fort enjeu d’écoute, d’humilité, de prise de conscience et d’objectivation des écarts de perceptions, pour assurer un terrain de compréhension mutuelle.

Un enjeu de dialogue continu…

Ensuite, en écho au point précédent, la transformation durable impose de prendre en compte la diversité culturelle pour trouver des façons de transposer, décliner intelligemment des dispositifs qui, pour être opérationnels et jouer efficacement leurs rôles fédérateur et mobilisateur, doivent faire l’objet d’une réelle appropriation locale.

Exemple concret : celui de la raison d’être de Veolia « Contribuer au progrès humain, en s’inscrivant résolument dans les Objectifs de Développement Durable définis par l’ONU, afin de parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous […] Ressourcer le monde en exerçant notre métier de services à l’environnement ». La raison d’être va plus loin que ce que l’on appelle parfois la « culture d’entreprise ». Issue d’un long processus collaboratif associant les parties prenantes internes et externes, elle exige dans les faits d’entretenir un processus de dialogue continu avec les équipes sur le terrain (220 000 salariés sur 5 continents), pour identifier les questionnements, traduire le sens de l’engagement collectif dans des contextes culturels variés, relier la raison d’être à l’impact, s’assurer que chaque collaborateur comprend quelle peut être sa propre contribution…

En un mot, il faut créer les conditions d’un réel alignement (vision, valeurs), facteur clé de succès pour la transformation. Cela suppose un travail considérable en matière de sensibilisation managériale (ateliers, supports multimédias, enquêtes d’engagements, feedbacks réguliers avec les responsables d’entités…).

La fusion avec Suez n’a pas modifié la raison d’être, mais le défi s’est accru, pour embarquer encore plus de collaborateurs (le volet « culture » est l’un des chantiers à part entière dans le processus d’intégration).

Relier culture et progrès durable…

Au-delà de la diversité des territoires d’implantation, des compétences et des métiers, des différentes « résonances » locales d’un socle de valeurs communes, la mise en mouvement collective impose de définir des « boussoles » compréhensibles par tous.

Car la transformation durable n’est pas une fin en soi : elle vise fondamentalement à créer les conditions d’un progrès durable, d’une création de valeur partagée conciliant les intérêts de l’entreprise et ceux de ses parties prenantes.

Antroine Frérot

Antroine Frérot

Président du CA de Veolia

Une entreprise est prospère parce qu’elle est utile, et non l’inverse

Les fondamentaux de la « culture durable » doivent donc se retrouver dans les outils de mesure. Veolia a ainsi conçu une grille d’analyse de la « performance plurielle » comportant des objectifs pour les 5 parties prenantes et 18 indicateurs de mesure (dont tient compte le calcul des bonus des cadres) cohérents avec la raison d’être du Groupe et son engagement au service de la transformation écologique.

Relier culture et impact doit permettre de dépasser les inquiétudes sociétales, (re)créer de la confiance, rassurer les parties prenantes quant à la capacité de l’entreprise à obtenir des résultats concrets et à assumer sa part des efforts collectifs pour faire face aux enjeux du développement durable (au premier rang desquels l’urgence climatique).

La culture, « programmation collective de l’esprit » selon l’anthropologue Geert Hofstede, est incontestablement une dimension clé de la transition écologique. A fortiori face aux besoins considérables en matière de pédagogie et de sensibilisation, dans un contexte de défiance généralisée (polarisation politique, simplification des controverses scientifiques : nous y reviendrons dans une prochaine chronique).

Les acteurs de tous profils ont besoin de visions inspirantes et partagées, tenant compte des différences de perceptions (traduire littéralement la « sobriété énergétique » n’a pas grand sens en Amérique du Nord, où cette notion est spontanément plutôt rattachée à la consommation d’alcool…) et des différences de besoins et de solutions (selon les contraintes économiques, démographiques, naturelles…).

Comme le rappelle le dernier baromètre mondial Veolia / Elabe de la transformation écologique, 60 % des habitants du monde ont encore du mal à imaginer à quoi pourrait ressembler la vie quotidienne si nous réalisons la transformation écologique…

Article publié dans le magazine REFLETS (communauté ESSEC Alumni) N°147, mai/juin 2023.