Alors que la crise du Covid-19 est venue bouleverser en profondeur les habitudes des citoyens et des organisations, être capable de rebondir et d’innover est devenue une condition sine qua none pour résister et tirer le meilleur de cette période si particulière.

Au cœur de la gestion de crise, les acteurs de la sécurité intérieure ont dû user de méthodes éprouvées depuis des décennies pour rester opérationnels, en tout temps et en tous lieux, et ce, en cherchant à innover pour mieux anticiper et répondre aux nouvelles attentes de la population ainsi qu’aux évolutions de la délinquance. Cette période sans précédent a permis d’accélérer et de confirmer l’intérêt d’innover perpétuellement et de repenser les modes d’actions des acteurs de la sécurité intérieure.

A l’aube d’une nouvelle ère qui verra naître de nouvelles orientations pour les métiers de la sécurité intérieure, nous vous livrons quelques éléments d’analyse sur les innovations technologiques utilisées dans le monde lors de cette crise inédite et les perspectives qu’elles présagent pour dessiner la sécurité et le secours de demain.

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Les moyens techniques mis en œuvre lors de cette crise sont nombreux et répondent à des usages et des finalités de natures différentes. Cependant ils amènent d’une part des questions réglementaires, notamment en Europe où la réglementation, et plus particulièrement le RGPD, définit un cadre strict pour l’usage des technologies, et d’autre part des questions sociétales, notamment en termes d’acceptabilité. Questions que nous développerons au fil de l’analyse.

1/ Le déploiement de nouvelles technologies pour répondre à une gestion de crise mondiale

Tour du monde des solutions technologiques déployées par les acteurs de la sécurité durant le Covid-19

Le monde entier a cherché les solutions miracles pour endiguer la crise du Covid-19 qui a ainsi été un profond révélateur pour nos sociétés contemporaines dans l’acceptabilité ou non d’outils technologiques au service de notre sécurité.

Le panorama des technologies et des usages associés que les pays ont déployé permet de confirmer la volonté de prolonger les actions de l’homme avec les technologies, à travers une complémentarité homme-machine qui pourrait se qualifier de « continuum de sécurité 4.0 ».

Pour analyser le panel de solutions technologiques déployées à travers le monde, Wavestone a décidé de catégoriser ces dernières en fonction de leur usage principal, afin d’esquisser les grandes tendances en matière d’utilisation des technologies pour répondre à l’exigence sécuritaire et sanitaire (cf. schéma ci-après) :

Ce développement technologique permet d’entrevoir de nombreuses opportunités pour les métiers de la sécurité intérieure et notamment d’identifier des pays « émergents » d’un point de vue technologique qui présagent d’une accélération globale de l’outillage technologique des acteurs de la sécurité intérieure à travers le monde.

Panorama mondial des outils de sécurité globale mis en place par niveau de complexité technologique

Wavestone a identifié des grandes tendances par type de zones géographiques dans le domaine de la sécurité intérieure, classées selon trois niveaux dépendant de la maturité technologique et donc de la complexité :

Alors que les pays asiatiques ont déployé un véritable arsenal technologique, poussant la science-fiction à son paroxysme, les pays européens ont quant à eux privilégié le traçage numérique, les drones et le Bluetooth. Les pays « émergents » sur la scène tech démontrent, quant à eux, un réel intérêt pour l’accélération de la transformation numérique des acteurs de la sécurité.

En conclusion, l’outillage technologique des acteurs de la sécurité à travers le monde démontre des disparités, mais il annonce une nouvelle ère de la sécurité intérieure avec un véritable renforcement de la complémentarité homme-machine, notamment à travers le couplage de plusieurs technologies. Il pose aussi de nombreuses questions réglementaires et sociétales.

Eléments d’analyse sur les risques et/ou limites liées à l'utilisation de ces nouvelles technologies

Certains cas d’usage à l’étranger et en France font débat actuellement. De nombreux citoyens s’insurgent contre ce qu’ils estiment constituer des restrictions des libertés individuelles et une menace pour la vie privée. C’est tout l’enjeu du débat sécurité/liberté qui se pose régulièrement. Pour autant, la surveillance de la population reste une caractéristique intrinsèque de l’État ; les nouvelles technologies de traitement de données viennent simplement renforcer son arsenal. Dès le début de la crise, les pays asiatiques ont commencé à utiliser ces nouvelles technologies pour restreindre l’épidémie en prévenant les populations, en les surveillant et en contrôlant leurs déplacements. Pourtant, des experts estiment que ces usages n’auraient pas pu être les mêmes en France et en Europe, du fait de l’application du Règlement général sur la protection des données (RGPD) qui protège les citoyens contre l’utilisation de leurs données personnelles. Qu’en est-il vraiment ?

D’un point de vue juridique, certaines dispositions permettent donc de s’affranchir de la notion de consentement de la part des citoyens dans un contexte très particulier comme celui de la crise du Covid-19.  Les mesures prises doivent l’être dans un cadre temporaire et de façon proportionnée. Les limites seraient donc davantage d’ordre éthique ou politique.

Les freins à l’utilisation des nouvelles technologies peuvent également venir des utilisateurs eux-mêmes. En effet, les forces de sécurité pourraient craindre d’être remplacées par les nouvelles technologies qu’elles utilisent. Il est par ailleurs intéressant de noter que tous les cas d’usage des nouvelles technologies ne soulèvent pas les mêmes interrogations et que le débat sécurité/liberté est loin d’être clos. Quand ce lien est fait, les propositions concernent toujours les restrictions de libertés, pas leur extension. Ainsi, jusqu’où les citoyens sont-ils prêts à donner volontairement accès à leurs données privées pour garantir leur santé ?

Techniquement, les pays européens sont prêts à déployer des nouvelles technologies ; tout l’enjeu réside donc dans l’acceptation politique, sociale et juridique de ces mesures. Néanmoins, pour éviter que des mesures soient à nouveau prises en urgence, un vrai débat doit avoir lieu pour permettre l’élaboration d’un nouveau cadre venant clarifier l’utilisation qui doit être faite des nouvelles technologies, en dehors d’un contexte de crise sanitaire.

Il n’en demeure pas moins que ce panorama de l’outillage technologique déployé pendant cette crise sanitaire laisse présager un potentiel d’optimisation des moyens et des usages des acteurs français de la sécurité intérieure.

2/ Penser la sécurité intérieure de demain : les nouvelles technologies au service d'une sécurité augmentée

En France, la sécurité intérieure s’appuie déjà sur les nouvelles technologies et le numérique pour, par exemple, faciliter l’action des forces de sécurité, leur permettre de gagner en efficacité et en réactivité, mais également faciliter les démarches des usagers et renforcer les liens Police-Justice pour faciliter les enquêtes. Les constats issus de la crise Covid-19 ne font que renforcer la volonté d’accélérer le recours aux technologies de pointes.

Si la crise du Covid-19 a permis de faire émerger des innovations technologiques, il convient désormais de se pencher sur leur aspect pérenne et leur compatibilité avec l’évolution des doctrines d’emploi et la réponse à une attente de plus en plus accrue des citoyens. Dans ce cadre, l’accompagnement des opérationnels et des Etats-Majors impliqués doit être pensé dans le but d’acculturer les acteurs à ces nouveaux outils et de réussir l’acceptation d’un changement profond de paradigme dans le « faire sécuritaire ».

Parmi l’ensemble du champ des possibles, Wavestone identifie 4 thématiques particulièrement propices à une accélération par les technologies innovantes mais qui posent inévitablement le défi de l’acceptabilité.

Repenser l’expérience « acteurs de la sécurité – usager »

Le contexte actuel est venu renforcer l’enjeu de faire du citoyen le premier maillon de la chaîne de sécurité en montrant une fois de plus combien l’action de proximité était indispensable et indissociable de la logique sécuritaire.

Nous pouvons imaginer demain construire des lieux hybrides, en mobilité, permis notamment grâce aux tablettes NéO déployées au sein des unités ainsi que des applications ou des interfaces en ligne s’appuyant sur les nouvelles technologies pour repenser le contact avec l’usager afin de répondre à un double enjeu :

  • Permettre à l’usager de disposer des mêmes services à distance qu’en présentiel pour simplifier sa relation avec les acteurs régaliens et renforcer la coproduction de sécurité, par exemple en offrant à l’usager de nouvelles capacités d’alerter sur une situation dangereuse, d’effectuer une plainte en ligne (dont le projet est en cours) ou de correspondre en visio-conférence avec un policier ou un gendarme ;
  • Permettre aux forces de sécurité d’exercer les mêmes tâches en mobilité qu’en commissariat ou en brigade pour renforcer la proximité entre forces de l’ordre et citoyen et, là encore, faciliter les démarches usagers tout en évitant de surcharger l’accueil physique et en déchargeant les personnels des tâches à plus faible valeur ajoutée.

Les pouvoirs publics et notamment les acteurs de la sécurité sont donc amenés, à travers cette crise, à repenser le lien avec la population et inventer de nouvelles manières d’aborder la sécurité du quotidien.

Faciliter l'enquête

La PTS (police technique et scientifique) et l’IRCGN (Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale), à la pointe de la technologie, développent déjà des outils pour analyser une scène de crime. Depuis 2017, munis de leur tablette Néo, les policiers de la PTS peuvent prendre des photos, reconstituer une scène de crime de façon virtuelle et modéliser chaque indice grâce à l’application Crim’in.

Par ailleurs, pour faciliter l’enquête, pourquoi ne pas imaginer une intelligence artificielle couplée à la réalité virtuelle permettant de recréer une scène de crime numérique comme si on s’y trouvait, à partir des photos prises sur la scène de crime et de l’ensemble des informations liées à la procédure. Ceci serait notamment utile aux enquêteurs pour construire des scénarios et travailler leurs hypothèses.

L’intelligence artificielle pourrait également être utilisée dans le cadre du traitement d’un très grand nombre de données, comme une grande quantité de vidéos (par exemple des images de vidéoprotection fixe ou des images de vidéo mobile à partir de drones). L’intelligence artificielle pourrait permettre d’identifier rapidement un visage, ou de supprimer des images sur lesquelles il ne se passe rien. Mais également dans le cadre de recherche d’individus (dans un contexte d’alerte enlèvement par exemple), ce type d’outil serait un atout indéniable.

Augmenter le potentiel d’intervention et de maintien de l’ordre

Des évolutions technologiques (et réglementaires), notamment étudiées dans le cadre du programme RRF (Réseau Radio du Futur), pourront permettre aux forces de maintien de l’ordre d’accéder en temps réel à des vidéos, issues par exemple de drones ou de caméras de vidéoprotection à proximité d’un cortège, directement sur leurs terminaux. Ces informations permettent aux policiers d’avoir une vue complète sur la manifestation et d’aider à la décision.

Par ailleurs, l’intelligence artificielle couplée à des images de vidéoprotection peut permettre de détecter dans une foule un individu au comportement anormal ou suspect. Les forces de maintien de l’ordre pourraient également être équipées sur le terrain de lunettes de réalité augmentée de type Google Glass. Cet outil pourrait permettre, grâce à la reconnaissance faciale, d’identifier de potentiels fauteurs de troubles lors de manifestations (individus déjà condamnés pour ce type de violence par exemple). Dans la même logique, les lunettes pourraient scanner toutes les plaques d’immatriculation des véhicules à proximité et alerter l’agent de police lorsqu’il croise un véhicule qui figure par exemple dans les bases des voitures volées (FOVES).

D’autres éléments de contexte pourraient également être mis à la disposition des forces, comme des éléments de cartographie, leur permettant de se rendre le plus rapidement possible sur les lieux d’une infraction. La géolocalisation des terminaux (ou des lunettes de réalité augmentée) des forces rend possible l’ajustement d’un dispositif en direct et de faire appel à des renforts en cas de difficultés sur le terrain, comme un policier pris à parti et isolé lors d’une manifestation.

Renforcer la sécurité et la fluidité des frontières

Imaginer les frontières futures ne relève plus de la science-fiction : désormais, à travers le monde, de nombreuses technologies font surface pour proposer une version augmentée de la frontière telle que nous la connaissons. A titre d’exemple, certains Etats disposent déjà de solutions innovantes :

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Au cœur de ces enjeux, le ministère de l’Intérieur intensifie ses actions notamment à travers le programme PFSF (Programme Frontières Sécurisées et Fluides).

Conclusion

Ces quelques réflexions ne reflètent pas l’étendue du champ des possibles offert par les technologies aujourd’hui et davantage encore demain. Les nouvelles technologies que sont l’IA, l’IoT, les robots, la 5G, la Blockchain représentent de nouvelles opportunités dont les acteurs de la sécurité intérieure doivent pleinement se saisir afin d’être en capacité de répondre en tout temps et en tous lieux aux nouvelles menaces et aux attentes des citoyens.

Pour autant, cela impose de réinterroger les doctrines d’emploi et nécessite de ce fait un accompagnement managérial fort pour être appréhendé par les agents et pleinement inscrit dans les nouveaux modes d’organisation des acteurs de la sécurité intérieure.

A l’aube des grands événements qui arrivent en France, comme la coupe du monde de Rugby en 2023 ou les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024, des transformations organisationnelles et technologiques sont déjà à l’œuvre et doivent se poursuivre afin d’être au rendez-vous sur le volet sécuritaire grâce à une combinaison technologique et humaine de pointe.