Le rapport des salariés à leur lieu de travail a fortement évolué depuis la crise sanitaire, avec un développement massif du télétravail et le passage à des modes de travail « hybrides », combinant présentiel et distanciel. Ces transformations représentent un défi majeur pour les entreprises et administrations, qui s’interrogent sur l’opportunité de mettre en place le flexoffice (ou « bureau partagé »), un mode d’organisation qui ne prévoit pas de poste de travail attitré pour chaque salarié. En partant du constat que les postes de travail ne sont jamais tous utilisés lors d’une journée standard (en raison des congés, des réunions et du télétravail), le flexoffice permet d’optimiser les surfaces occupées et de diminuer significativement l’empreinte immobilière d’une organisation en proposant moins de postes de travail qu’il n’y a d’employés.   

Confrontée aux mêmes problématiques que les entreprises du secteur privé, l’administration publique se questionne elle-aussi ; la nouvelle doctrine d’occupation des immeubles tertiaires de l’Etat publiée par la Première Ministre en février 2023 vise ainsi à accélérer la rénovation des bâtiments administratifs, poursuivre leur transformation vers des espaces plus flexibles et diminuer les surfaces immobilières occupées.  

Devant l’ampleur des transformations induites par le passage au flex-office dans l’administration publique, comment faire en sorte que ce changement soit accepté et partagé par tous les collaborateurs et quelles sont les conditions de réussite d’un tel projet ?   

Le passage en flex-office, un marqueur fort des transformations culturelles et managériales   

Plus qu’un simple réaménagement des locaux, le passage en flex-office est l’occasion pour les entreprises et administrations de proposer et d’ancrer de nouvelles méthodes de travail plus flexibles et agiles au sein de leurs organisations, par le biais d’espaces et de positions de travail qui encouragent et reflètent ces transformations. Cela peut être l’occasion de mettre en pratique des modes de travail inspirés de la méthode Agile : les salles de stand-up meeting ou une proximité géographique entre équipes projets sont des exemples concrets d’application de ces méthodes.  

Le flex-office offre par ailleurs une plus grande flexibilité dans l’aménagement des locaux, source de résilience et d’agilité au fil du temps : les espaces sont facilement réaménageables et par nature évolutifs, permettant de s’adapter à l’évolution des effectifs et aux fluctuations de l’activité économique. Ainsi, des locaux modernes, « légers » et adaptés à toutes les situations de travail permettent d’envisager le changement et de potentielles réorganisations avec plus de sérénité et de confiance.   

L’immobilier étant le second poste de coût des entreprises après la masse salariale, la diminution des surfaces occupées permet de réduire son empreinte carbone, en lien avec les objectifs RSE fixés par l’organisation. Une diminution des surfaces occupées va de pair avec une diminution de l’empreinte écologique de l’entreprise, en permettant une baisse des consommations d’énergie (chauffage, climatisation, fluides), un déménagement vers des locaux plus vertueux, ou encore une réduction des trajets domicile-travail et donc une baisse des émissions de CO2…   

En optimisant l’occupation des espaces de travail, le flex-office permet également de dégager des surfaces pour proposer des espaces de convivialité, de détente ou de rencontre qui faisaient bien souvent défaut auparavant. L’offre de services aux salariés (restauration, salle de sport, conciergerie…) doit également faire l’objet d’une attention particulière, pour proposer un avantage comparatif vis-à-vis du télétravail et susciter l’envie pour les agents de retourner sur leur lieu de travail. Ces services sont également une source de bien-être au travail qui permettent de fidéliser les salariés existants et d’en attirer de nouveaux, un avantage intéressant dans un contexte marqué de guerre des talents.   

En résumé, si le flex-office permet une collaboration accrue des agents en favorisant la transversalité entre les services et les échanges informels, il est essentiel que ce projet s’insère dans une réflexion plus large autour de la transformation des modes et des pratiques de travail. Décréter un tel projet sans initier une réflexion plus globale sur les évolutions des pratiques de travail implique le risque de se limiter à un projet à visée purement économique, avec des effets limités sur les modes de travail de l’entreprise et peut être source de réticence voire de mécontentement de la part des agents. Il est donc essentiel de réfléchir à l’insertion et à la coordination de ce projet avec les objectifs RSE et QVT fixés par l’entreprise, d’être clair et de communiquer sur les finalités escomptées (gain économique, promotion de nouvelles formes de collaboration, souhait de faire revenir les agents sur site…) ainsi que de penser son intégration avec les valeurs et la culture d’entreprise. 

A chaque usage son espace : la nécessité de construire des typologies d’espaces en partant des réalités métier des agents 

L’un des grands principes du passage au flex-office est de (re)mettre les espaces aux services des usages et des besoins en les adaptant aux spécificités métiers, plutôt que l’inverse. Le flex-office doit également permettre de répondre à un besoin accru de collaboration des agents lors de leur présence sur site, qui se traduit par la nécessité de pouvoir varier les positions de travail au sein d’une même journée. 

 Il est primordial de commencer par définir les principes directeurs du réaménagement afin de guider les discussions lors des prochaines étapes. Cette phase est cruciale pour déterminer les objectifs de l’aménagement ainsi que le taux de foisonnement souhaité. Un des facteurs clés de succès repose notamment sur la bonne détermination des ratios de flex et une organisation intelligente de la présence des équipes sur site. 

Pour tirer parti au mieux des possibilités offertes par le passage en flex-office, une phase de recueil des usages et d’expression des besoins des agents est essentielle, elle doit permettre de définir un parcours utilisateur type qui retrace l’ensemble des activités réalisables sur une journée et les typologies d’espaces associées. L’analyse des usages et des activités cibles permet de déterminer dans quelles proportions définir la part retenue pour chacun des usages dans la vision cible de l’aménagement. Cette analyse permettra ensuite de définir les espaces associés. 

 La conception des espaces de travail aboutit généralement à mettre en avant trois usages : 

  • Le travail seul 
  • Le travail en équipe 
  • Les actions annexes (discuter, échanger, créer du lien social, se reposer) 

Figure 1 : Typologies d'espaces et usages associés

La création de ces nouveaux espaces implique par ailleurs la mise à niveau du socle technique et informatique de l’entreprise : un collaborateur doit pouvoir travailler dans tous ses espaces sans perdre la continuité de ses services informatiques ou bureautiques. Le socle technique doit également faciliter l’utilisation des nouveaux espaces de travail, en proposant des outils essentiels (visualisation de l’affluence en temps réel, outil de réservation de place de travail…) ou la réservation de salles de manière simplifiée. Ces différents éléments contribueront à une meilleure adoption du flexoffice par les équipes mais la dimension technologique ne saurait se substituer à un ratio de flex réaliste, ainsi qu’une organisation intelligente des jours de présence sur site. 

Projet immobilier, projet de transformation : la conduite du changement, levier incontournable pour favoriser l’émergence de nouveaux modes de travail 

L’acculturation et l’appropriation des principes du flex-office ne va pas de soi et comporte quelques difficultés. La conduite du changement est donc fondamentale ; cela implique un accompagnement avant, pendant et après, avec une attention particulière sur la co-construction, l’appropriation et l’incarnation de la démarche.   

Notre expérience terrain nous montre que le premier problème soulevé par les collaborateurs du secteur public réside dans l’appropriation des espaces variés proposés par le flex-office. Des ateliers d’équipe pour définir les usages (« j’ai besoin de travailler 1h en silence sur un dossier, je me dirige donc vers un espace silencieux », « j’ai besoin de faire un point informel avec un collègue, je privilégie l’emploi d’une bulle plutôt que la réservation d’une salle de réunion », etc.) doivent donc être proposés pour favoriser l’appropriation des concepts et des espaces. De même, des ateliers qui favorisent une meilleure prise en main des outils collaboratifs est nécessaire, ainsi qu’un atelier sur comment faire place nette à la fin de chaque journée sur site (politique dite du « clean desk »). La mise en place d’une “zone témoin” traduisant avec fidélité les futurs espaces (y compris le choix de mobilier) constitue enfin, le dernier degré de l’expérimentation avant la livraison des nouveaux espaces de travail.  

Des visites inspirantes de locaux d’entreprises ou d’administrations ayant réussi leur passage en flex-office peuvent également être l’occasion pour les agents de se projeter dans une configuration de bureaux différente, avant de s’approprier progressivement les espaces lors d’une journée de découverte des nouveaux locaux. L’installation d’une signalétique visant à délimiter la présence d’une équipe ou d’un département est également importante pour maintenir un sentiment d’appartenance au sein des locaux et la cohésion des équipes.  

Assurément, un projet immobilier de passage au flex-office doit être incarné et porté par un chef de projet identifié qui est le porteur du projet de transformation. Afin de prendre en compte de manière holistique tous les aspects liés au changement, ce rôle de chef de projet est de plus en plus confié à un agent issu de la Direction des Ressources Humaines ou d’une direction transverse pilotant la transformation au sein de l’organisation. Ce rôle de chef de projet est complémentaire à celui de directeur de projet, souvent issu de la Direction Immobilière, et permet d’incarner et de porter les objectifs de transformation des pratiques.  

Enfin, le rôle du manager est fondamental dans la démarche de conduite du changement car le manager fait figure de pièce centrale dans la démarche de familiarisation avec les espaces dynamiques. En déterminant, à l’échelle de son équipe, les jours de présences sur site et les jours de télétravail, il veille au respect du taux de partage. En tant que relai hiérarchique, c’est aussi à lui que revient la responsabilité de piloter la mise en œuvre des ateliers d’appropriation des espaces de travail. En favorisant la transversalité et le travail inter-équipes, le flex-office exige des managers d’être exemplaires et d’agir en coordination les uns avec les autres : alignement collectif sur la doctrine, postures dynamiques sur le travail hybride, bonne intelligence sur la répartition des jours de présences… Un projet immobilier est avant tout un projet de transformation managérial.  

Véritable levier pour gagner en efficacité et en agilité, le passage en flex-office ne consiste pas simplement en une transformation des espaces, mais représente un véritable projet de transformation organisationnel et managérial, qui doit tenir compte des spécificités liées aux usages et aux modes de travail des agents. Dans le secteur public, cela implique une attention accrue à l’appropriation des nouveaux espaces et un portage fort du projet par le management, des pré-requis qui doivent être intégrés dans une stratégie globale et compréhensive de conduite du changement. Enfin, la bonne définition du taux de partage à la suite de la phase d’expression de besoins et une répartition intelligente des jours de présence des équipes sur site sont déterminants pour la réussite du projet, en complément d’une mise à niveau du socle technologique des organisations si nécessaire.

Remerciements à Daniel Ohanian, Senior Consultant et Pablo Douard, Consultant pour leur contribution à cet article