L’article a été publiée sur le site Les Echos le 23 octobre 2023

Le Far West dans le numérique, c'est fini.

Voilà en substance ce que signifie l’Union européenne avec ses récentes législations sur le numérique. Digital services act sur les services numériques, Digital market act sur les marchés numériques, DGA et le plus ancien RGPD sur les données : les sigles se succèdent mais entendent tous créer un cyberespace sûr, transparent et équitable pour tous les Européens.

En affirmant que ce qui est illégal hors ligne l’est aussi en ligne, l’Union européenne vise à protéger dans leurs droits fondamentaux les internautes , les consommateurs mais aussi les acteurs du net eux-mêmes face à l’hégémonisme des mastodontes du secteur, quelle que soit leur origine. Sans surprise, les principaux visés sont les bien connus GAFAM (pour Alphabet (Google), Amazon, Apple, Meta (Facebook) et Microsoft), même si la liste ne s’arrête pas là.

A charge pour eux, et les autres, de respecter les nouvelles règles du jeu sous peine de lourdes, très lourdes astreintes et sanctions : des amendes allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial pour non-respect du DSA, 20 % pour le DMA. De quoi inciter à se tenir à carreau… ou à éviter l’espace européen, au détriment des utilisateurs qui se verraient privés de leurs services.

Hubris régulatrice

Il serait facile de se dire que l’Europe est, une fois de plus, prise d’hubris régulatrice risquant d’étouffer toute velléité créatrice. Qu’elle se parodie elle-même en illustrant si bien le cliché : « L’Amérique innove, la Chine copie, l’Europe réglemente ». Et qu’elle ferait mieux de s’attacher à favoriser l’innovation plutôt que l’inflation normative pour tenter de combler son retard technologique.

Certes, il est difficile de contester que l’Europe soit à la traîne dans certains domaines. Mais le choix de réguler l’espace numérique en portant haut ses valeurs démocratiques n’est pas aussi dénué de pragmatisme qu’il pourrait y sembler. À travers le DSA et le DMA , l’Union européenne vise à renforcer sa compétitivité à l’échelle mondiale et à réduire sa dépendance à des acteurs étrangers, pour in fine consolider sa souveraineté numérique. Pour cela, elle a pris soin d’appuyer son parti pris idéologique d’un lourd pouvoir de sanction, qui ne peut être pris à la légère. Elle a ancré son choix politique dans une réalité sonnante et trébuchante, touchant les GAFAM & Co. Là où ils sont sensibles.

Jeunes pousses protégées

Le résultat sera une protection effective des siens, avec, pour conséquence, un potentiel coup de pouce à l’écosystème européen. Toutes ces start-up, petites et moyennes entreprises, qui aujourd’hui se heurtent frontalement à la surpuissance des géants du secteur , devraient enfin avoir une chance de pousser. A la fois utilisée comme un outil offensif et défensif face aux concurrents de l’Europe, la nouvelle régulation devrait permettre de valoriser les investissements réalisés par les Etats membres et enfin favoriser l’émergence d’avantages comparatifs.

En faisant fermement entendre sa voix, l’Union européenne dessine de plus en plus nettement une troisième voie mondiale. Face aux Etats-Unis, passés du « America First » de Donald Trump au « America Only » de Joe Biden, et au nationalisme historique de la Chine, l’Europe, en assurant la protection des siens, assume peut-être enfin un protectionnisme mesuré favorisant ses citoyens comme son économie.